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Censure : Quand les portes se ferment sur Gaza

La lutte pour la voix palestinienne dans les médias québécois.

Clément Veysset | Le Délit

Des portes closes, voilà ce qui nous attendait, mon ami et moi, lundi le 6 novembre dernier, alors que nous devions assister à la projection de trois documentaires de la réalisatrice Jocelyne Saab dans le cadre d’une levée de fond en vue de venir en aide au peuple de Gaza, organisée par le collectif Regards Palestiniens. À notre grand désarroi, le conseil d’administration et la direction générale de la Corporation du Cinéma du Parc ont décidé d’annuler l’événement « compte tenu des malaises suscités par rapport à [sa] teneur politique », comme l’indiquait l’affiche qui annonçait son annulation. Nous avons appris plus tard dans la soirée qu’une pétition avait été signée contre la tenue de l’événement, notamment dû au titre de la levée de fond, « Du fleuve à la mer », phrase qui aurait des sous-entendus génocidaires à l’égard du peuple israélien.

Heureusement, les organisateurs ont été assez généreux et patients pour, en contrepartie, offrir une soirée de « teach in », tenue devant les portes closes du Cinéma du Parc. Lors de cette occasion, ils ont répondu à des questions par rapport à la situation actuelle, tout en nous éclairant sur les motifs invoqués pour justifier la décision injustifiable du comité du cinéma. Bien que cet événement improvisé fût informatif, il m’a aussi permis de réaliser l’omniprésence de la censure et de la fausse représentation que reçoivent les Gazaouis et les activistes défenseurs des droits humains palestiniens.

« À la vue du nombre grandissant de personnes faisant un appel à la paix, il est important de reconnaître que la paix ne devrait pas être une façon détournée de condamner les Palestiniens au silence, une fois de plus. »

Un baccalauréat en communications n’est pas nécessaire pour concevoir que la Palestine et l’Israël ont été représentés de manière bien différente depuis le 7 octobre, jour des attaques perpétrées par le Hamas sur Israël. Samar Saheed écrit notamment sur le site d’information The New Arab, que plusieurs médias occidentaux refusent de considérer la nature anticoloniale et résistante des évènements du 7 octobre, et au contraire, s’en limitent à sa nature terroriste, enlevant une immense nuance au conflit. De plus, il y a également un bais dans les mots que les reportages utilisent. Par exemple, les Israéliens « sont tués », tandis que les Palestiniens « sont morts », tel que le démontre un article de la BBC. Toutefois, il est évident que les plus de 14 500 Gazaouis décédés depuis les ripostes criminelles des forces armées israéliennes ne sont pas morts de causes naturelles. Alors comment expliquer un tel écart dans la représentation médiatique en Occident entre Gazaouis et Palestiniens ?

Je me considère assez privilégiée d’être entourée d’un cercle d’amis et de connaissances qui ne se laissent pas influencer par les biais véhiculés par plusieurs des médias occidentaux au sujet des événements actuels. J’ai donc la chance de pouvoir obtenir une quantité importante d’informations provenant de sources primaires, comme des vidéos prises par des citoyens et des témoignages en temps réel, qui ne sont pas filtrés par les journaux et bulletins télévisés de l’Occident. Comme Isräel n’autorise pas l’entrée de journalistes internationaux sur le territoire de Gaza, il est crucial d’orienter ses recherches sur les événements actuels vers les journalistes palestiniens, qui sont sur le terrain et qui montrent des images que plusieurs médias externes ne peuvent pas fournir. Je reconnais que plusieurs n’ont pas ma chance : il est alors nécessaire de reconnaître l’impact considérable que la représentation biaisée des Palestiniens peut avoir sur une grande partie de la population, qui voit déjà trop souvent sa perception du monde arabe négativement influencée depuis les événements du 11 septembre 2001.

Non seulement, plusieurs médias imposent une subjectivité dans leur représentation de l’actualité du Moyen-Orient, mais il me semble également qu’ils omettent la représentation des activistes palestiniens et leurs alliés. Depuis le 7 octobre, plusieurs manifestations appelant au cessez-le-feu ont eu lieu dans les rues montréalaises, certaines réunissant même jusqu’à 50 000 manifestants. Il aura fallu la présence de l’imam controversé Adil Charkaoui lors du rallye du 28 octobre, pour que ces rassemblements se voient accorder une once de représentation dans la presse québécoise, affaiblissant ainsi la voix d’une population qui marche en faveur de tous les principes qui sont supposés être au coeur même de notre démocratie : les droits humains, la paix et les libertés civiles et individuelles.

Ayant participé à plusieurs de ces manifestations, j’ai pu observer que celles auxquelles j’ai eu la chance d’assister s’étaient déroulées de manière très pacifiste, et dans un respect sans équivoque de la communauté juive. À noter que l’organisation des Voix Juives Indépendantes de Montréal est un acteur très important dans ces rassemblements et que presque à chaque fois, l’un de leurs représentants a été invité à prendre le micro. Néanmoins, ces aspects des rassemblements appelant au respect des lois internationales et des droits humains sont absents de la plupart de nos médias, puisque Adil Charkaoui, aux yeux du Journal de Montréal, du Journal de Québec ou encore de La Presse, s’avère plus intéressant qu’un appel à la paix.

« Toutefois, il est évident que les plus de 14 500 Gazaouis décédés depuis les ripostes criminelles des forces armées israéliennes ne sont pas morts de causes naturelles »

Hélas, McGill n’est pas à l’abri de cette représentation biaisée des activistes des droits humains. Depuis le 7 octobre, nombreux sont les courriels de l’administration qui appellent à des dialogues respectueux et civils, ainsi qu’à la compassion envers les communautés affectées par la situation actuelle. Certes, ces courriels offrent leur support total aux étudiants juifs de McGill, mais ils sont, selon moi, tout sauf empathiques envers la communauté palestinienne de notre université ; celle-ci, en plus d’être endeuillée, doit justifier son soutien à la libération d’un peuple opprimé à l’administration de son université, qui prétend se positionner en faveur de la décolonisation au Canada, sans pour autant reconnaître les similarités avec le vécu du peuple palestinien. Bien que les messages demandent le respect des deux communautés sans qu’il n’y ait un parti pris explicite, le simple fait que l’administration ne cesse de mettre des bâtons dans les roues des étudiants palestiniens, qui doivent passer à travers une série de troubles administratifs, en plus d’être en deuil, démontre un grand manque d’empathie. Les mots et les actions ne se suivent pas toujours, et ici, on peut voir que les appels à l’empathie et au respect sont souvent synonyme d’un appel au silence des activistes palestiniens.

Il y a deux semaines, le principal Deep Saini a envoyé un courriel condamnant le rassemblement prévu le jeudi 9 novembre, informant que des mesures de sécurité supplémentaires allaient être mises en place si l’événement avait toujours lieu. Ce rassemblement demandait à l’Université McGill de couper ses liens avec toute entité qui lui permet de bénéficier de l’oppression des Palestiniens, notamment par l’investissement dans des compagnies qui profitent de l’occupation, comme les compagnies Safran et Lockheed Martin, qui fournissent des armes à l’armée israélienne. Le motif de ce renforcement de sécurité à la manifestation était la présence d’affiches sur les réseaux sociaux, qui montraient des manifestants en train de briser des fenêtres, image qui faisait soi-disant allusion à la destruction de propriété durant la Kristallnacht, une soirée d’attaques du régime nazi en 1938 pendant laquelle plusieurs synagogues et magasins juifs ont été vandalisés. Toutefois, il a plus tard été révélé sur la page Instagram de Independent Jewish Voices McGill que cette même photo était tirée du documentaire Discordia, qui suit les manifestations d’étudiants de Concordia contre la visite du premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu sur le campus en 2002. Ainsi, la réappropriation d’un moment traumatisant de l’histoire juive dans le but de dissuader les étudiants de McGill de se rassembler est une atteinte directe au droit des élèves de manifester, tout en étant une représentation hautement déformée des actions du corps étudiant et des associations ayant participé à l’organisation de cet événement.

Je reconnais entièrement qu’il est impossible pour moi de comprendre la douleur de la communauté juive québécoise et internationale et je ne supporte aucun des actes antisémites qui ont été commis dans les dernières semaines. Toutefois, trop souvent cette douleur a été utilisée comme arme contre la liberté du peuple palestinien et de ses alliés d’exprimer leur désir pour la libération. Le soutien pour la communauté juive ne devrait pas venir au détriment du soutien des Palestiniens, qui souffrent depuis plus de 70 ans. À la vue du nombre grandissant de personnes faisant un appel à la paix, il est important de reconnaître que la paix ne devrait pas être une façon détournée de condamner les Palestiniens au silence, une fois de plus.


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