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Un spectacle qui fait tomber plus d’un mur

Retour sur Hedwig et le pouce en furie présentée au Théâtre du Nouveau Monde.

Vincent Yuxin Qiu | Le Délit

Le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) se renouvelle avec la présentation d’Hedwig et le pouce en furie, mise en scène, adaptée et traduite par René Richard Cyr à partir de la comédie musicale Off-Broadway Hedwig and the Angry Inch. Dans le rôle d’Hedwig, chanteuse du groupe punk-rock qui donne son nom à la pièce, Benoît McGinnis hypnotise le public. La pièce, qui est à la fois un concert, un quasi-monologue de style stand- up, et un spectacle de drag, va à l’encontre des propositions habituelles du TNM, que l’on pourrait qualifier de « prudentes ».

De rock et de fragilité

Avant de s’extasier sur le jeu hallucinant de Benoît McGinnis dans Hedwig et le pouce en furie, il faut d’abord parler de la pièce elle-même. Écrite par John Cameron Mitchell en collaboration avec le compositeur Stephen Trask, Hedwig et le pouce en furie raconte l’histoire d’Hansel, un jeune homme de Berlin-Est ayant subi une opération de changement de sexe mal effectuée. Hansel prend alors le nom de sa mère, Hedwig, se marie avec un militaire américain, et part s’installer en Amérique. Après une rupture douloureuse, Hedwig se met à faire de la musique rock avec son groupe et avec son ami Tommy Gnosis, qui lui brise le cœur à son tour, en plus de lui voler ses chansons.

Par une coïncidence extraordinaire, Gnosis se produit en concert sur la scène juste derrière celle du TNM – dans la version présentée au TNM, bien sûr – représentée dans le spectacle par une porte, qui, lorsqu’ouverte, laisse le public entendre les discours narcissiques du chanteur. Entre les chansons interprétées par Hedwig, son nouveau mari Yitzhak (Élisabeth Gauthier Pelletier, découverte renversante), et son groupe de musiciens, la rockstar raconte son enfance et les épreuves qu’elle a traversées dans sa quête identitaire, à la recherche de son autre moitié. La pièce, qui aborde les thèmes de l’art du drag et de la transidentité, ne peut être définie seulement par ceux-ci. Elle parle avant tout d’amour, de douleur, de rêves, de trahisons et, bien sûr, de rock ’n’ roll.

McGinnis et le jeu en folie

Pendant l’heure et demie que dure le spectacle, Benoît McGinnis, considéré par plusieurs comme l’un des meilleurs comédiens québécois de sa génération, se démène dans le rôle exigeant qu’est celui d’Hedwig. Il danse, chante, saute, court et joue avec une sensibilité prenante et une énergie contagieuse. Dans le rôle de Gnosis, à la fin de la pièce, la gestuelle de McGinnis adopte toutes les subtilités nécessaires afin de nous faire oublier qu’il interprétait, une dizaine de secondes plus tôt, le rôle d’une femme. La présence sur scène du comédien est telle que, même lorsqu’il est dans l’ombre, par exemple lorsqu’Hedwig permet à Yitzhak d’être sous le feu des projecteurs, c’est lui qu’on regarde.

« La pièce, qui aborde les thèmes de l’art du drag et de la transidentité, ne peut être définie seulement par ceux-ci. Elle parle avant tout d’amour, de douleur, de rêves, de trahisons et, bien sûr, de rock ’n’ roll »

Cela n’enlève toutefois rien au jeu et à la voix impressionnante d’Élisabeth Gauthier Pelletier. Dans le rôle de Yitzhak, elle est choriste pour Hedwig, mais prend plus d’importance au fur et à mesure que la rockstar s’ouvre au public et laisse tomber ses comportements abusifs. La dernière chanson de la comédie musicale est un duo enlevant entre McGinnis et Gauthier Pelletier, qui donne envie de lever les mains en l’air, comme le dit le morceau.

Ce qui se cache derrière la langue

La traduction de la pièce, en particulier des chansons, a sans doute été un défi de taille pour René Richard Cyr et Benoît McGinnis, qui y a participé. La pièce a été adaptée à la langue et à la culture du Québec. Dans la plupart des cas, cela fait en sorte que les blagues et les commentaires d’Hedwig sont mieux reçus par le public. Pourtant, dans les chansons, on sent que le débit souffre de la traduction et que les paroles manquent de vulnérabilité. Leur puissance émotive est affaiblie par la nécessité de les ajuster aux rimes et au rythme. Évidemment, deux langues ne peuvent formuler la même idée d’une même manière ; les modifications de sens sont donc inévitables, mais auraient pu être amoindries. Mis à part ce défi prévisible, Hedwig et le pouce en furie reste une adaptation réussie, rendant accessible à un public francophone cette histoire aussi farfelue que touchante. 

Hedwig et le pouce en furie a été présentée du 20 au 28 octobre au Théâtre du Nouveau Monde. 


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