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Peut-on être objectif en temps de guerre ?

L'équipe du Délit | Le Délit

Rarement avons-nous été inondé·e·s d’autant d’informations, et rarement a‑t-il été aussi difficile de s’informer que dans le contexte actuel. Les médias, pièces maîtresses du fonctionnement des démocraties modernes, n’ont peut-être jamais été autant impliqués que depuis la récente escalade du conflit israélo-palestinien. À travers des événements aussi complexes, le sociologue Dominique Wolton avance que le public peut avoir l’impression frappante de ne rien savoir malgré sa consommation abondante d’informations.

Alors que la communauté montréalaise et internationale semble divisée par les événements des dernières semaines, l’équipe du Délit fait face une question de déontologie journalistique : comment doit-on s’y prendre pour rapporter l’information le plus justement possible à la population étudiante ? Comment assurer une couverture équilibrée dans le contexte de conflits aussi polarisants ?

Dans le monde du journalisme, l’objectivité est placée au rang de valeur idéale : tous·tes les journalistes espèrent s’en approcher. Afin de mieux cerner les enjeux du quotidien, nous pouvons considérer que le journalisme mise sur une approche qui vise soit la neutralité, soit la pluralité d’opinions. Quoi que nous fassions, se libérer entièrement des biais individuels est loin d’être simple, et malgré nos efforts, nous craignons que ce soit impossible.

Au même titre que le·a journaliste, l’historien·ne s’abstient de juger ; la discipline historique autonome est largement marquée par le positivisme : « expliquer les choses comme elles se sont passées. » Toutefois, cette objectivité se perd dès qu’un fait historique est amené par un·e témoin, à un moment et à un endroit donné. Depuis près de trente ans, ces observateur·rice·s se multiplient avec l’accroissement des télécommunications : la prolifération des chaînes de télévision, l’essor d’Internet, l’omniprésence des téléphones portables et toutes les autres avancées technologiques ont profondément remodelé nos canaux de communication. Les outils de communication de masse demandent une réponse rapide, un besoin de se faire une opinion à tout prix et d’en aviser les autres, alors même que les informations sur la situation ne sont parfois pas complètes, ni vérifiées. La multitude de sources d’information « rapides » relèguent progressivement, de par leur nature éphémère, le journalisme traditionnel au second plan.

Cette constante circulation de nouvelles et d’opinions pousse à la polarisation. Comme le suggère Hannah Arendt – politologue et philosophe américaine – dans La condition de l’homme moderne, la politique est un domaine dans lequel la vérité est inévitablement étirée, déformée et relativisée, plutôt que délibérément exprimée. Alors, comment éviter de colporter les visions d’acteur·rice·s politiques – ou médiatiques – intéressé·e·s à créer des divisions encore plus marquées ?

Ces visions, dans le contexte de guerre, font naître la notion fondamentale d’altérité. Ce concept évoque la reconnaissance de l’autre, de la différence, dans le contexte de relations interpersonnelles, culturelles, éthniques ou sociales. Les guerres et conflits mettent souvent en évidence ces différences, au risque d’être exagérées et instrumentalisées pour justifier la violence. En temps de guerre, la propagande peut être également utilisée pour déshumaniser l’ennemi en le représentant comme une menace abstraite, enracinée dans la peur de l’autre. Il est donc plus facile pour les parties en conflit de mobiliser leur population en les encourageant à percevoir l’autre comme radicalement différent·e, dangereux·se, voire inférieur·e. Le professeur Cornett – avec lequel Le Délit s’est entretenu dans le cadre du conflit israélo-palestinien – souligne que « celui qui est un patriote aux yeux de l’un est un terroriste aux yeux de l’autre ».

En tant que journal étudiant, nul besoin de rappeler que nos moyens sont limités. Malgré nos efforts constants visant à fournir un contenu qualitatif, il demeure que nos moyens sont loins d’égaler ceux d’Agence France-Presse ou encore Reuters. Alors que ces dernières ont les pieds au cœur de l’action, nous sommes forcé·e·s de consommer ce qu’ils voient en temps réel, à travers leurs productions journalistiques.

Bien que nous ne puissions rivaliser avec ces presses internationales, qui mettent la main sur un événement à la seconde où il se produit, nous avons un engagement envers la population étudiante mcgilloise, et souhaitons continuer de produire du contenu de qualité, malgré les défis qui s’imposent. Nous tenons à ce que notre population étudiante soit informée, et Le Délit tient à cœur son rôle de véhicule d’information recherchée. En tant que journal étudiant, nous ne sommes pas une entité politique. Dans le contexte actuel, nous pensons donc que prendre position n’est pas l’approche à privilégier. Nous souhaitons continuer à écrire sur la beauté qui nous entoure, sur les petites joies de la vie, sur le théâtre, sur les avancées étudiantes, sur la danse, ou encore sur l’Halloween. Nous estimons que les étudiant·e·s pourraient en avoir besoin ces temps-ci.


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