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Apprendre à s’aimer

Politique de la jouissance personnelle.

Laura Tobon | Le Délit

Toute sexualité est politique. Les femmes s’en rendent particulièrement compte en grandissant : tout ce qui touche au corps est un tabou, surtout lorsqu’il est question d’un corps qui diffère de la normalité d’un pénis érigé comme virilité. Je pense que nous, les femmes et autres minorités sexuelles, devons avoir notre mot à dire sur ce qui a trait à nos corps et apprendre à le connaître à notre rythme, dépourvu du regard extérieur. Dès qu’on regarde les nouvelles, on est confronté à un rappel constant de la fragilité de ce que nous avons pris pour acquis, par exemple l’avortement. Nous n’avons qu’à regarder le cas de la Floride, où le gouverneur Ron de Santis interdit déjà la mention de l’éducation LGBTQ+ dans les écoles. L’État du Tennesse, qui a décidé de bannir la culture drag dans l’espace public, met en danger les individus transgenres. Pourtant, il y a plus de 55 ans, le premier ministre Pierre-Elliott Trudeau a dit, lors de la présentation de sa loi omnibus qui allait décriminaliser l’avortement et l’homosexualité, que l’État n’avait rien à faire dans la chambre à coucher des citoyen·ne·s. Malheureusement, le temps passe, les menaces sont cycliques et reviennent continuellement pour nous dire que nous ne serons jamais en paix.

L’utilité et l’intersectionnalité

Tout ce qui sera énoncé comme un problème par une femme hétérosexuelle est seulement la pointe de l’iceberg que l’intersectionnalité peut révéler davantage. Un individu queer va rechercher la représentation dont il a besoin pour se sentir validé dans sa vie sentimentale et sexuelle. Tout signe d’individualité qui ne se réfugie pas dans l’hétéronormativité est jugé comme dérangeant. Il faut toujours se battre contre ce même regard qui sait uniquement juger. De plus, une personne transgenre se confronte à la cisnormativité, selon laquelle on s’attend à ce que celle-ci doive uniquement aller vers la féminité ou la masculinité, sans aucune zone grise. Sur les applications de rencontre, on leur répète qu’elles ne seront jamais assez valides et sont constamment ramenées à leurs parties génitales. La sexualité devient un traumatisme, une blessure constante, alors qu’elles ne cherchent qu’à être elles-mêmes. Voir des personnes queer heureuses est un affront, alors que ce n’est que ce qu’elles méritent, comme n’importe quel autre être humain cisgenre et hétérosexuel.

La subjectivité non-objective

Ce qui advient au niveau politique reflète la vie de tous les jours. Combien de fois pouvons-nous supporter de réentendre les mêmes commentaires sur les photos dévêtues d’une femme sur les réseaux sociaux tandis qu’une adolescente refusant de se faire sexualiser est couverte de honte par ses camarades de classes et les adultes ? C’est sans mentionner la popularité grandissante des alpha males, qui considèrent les femmes comme des créatures uniquement utiles pour des fonctionnalités de femme au foyer sans aucune touche de modernité. Ils nous crient : « Comment osez-vous vous intéresser autant au sexe alors qu’on vous demande seulement d’être des vierges effarées prises par derrière ? Comment osez-vous refuser les va-et-vient d’un immense bâton qui se fout de ce que vous voulez ? » Même s’il est question d’une minorité d’hommes, cela nous rappelle un regard suffocant qui refuse de voir des êtres humains confortables dans leur peau. Notre corps ne devrait pas être contrôlé par quiconque d’autre que nous-mêmes, sous un regard qui n’est pas uniquement concentré sur le plaisir masculin.

« Notre corps ne devrait pas être contrôlé par quiconque d’autre que nous-mêmes, sous un regard qui n’est pas uniquement orienté vers le plaisir »

Se satisfaire soi-même

La solution à tout cela peut se trouver dans ce que nous choisissons de faire pour reprendre le contrôle sur notre corps, sur le regard qui est porté sur lui, sur les sensations que nous voulons vivre pour et grâce à celui-ci. L’intime est politique et expérimenter sa sexualité seul·e, sans un regard qui juge les minorités sexuelles, peut être une solution. Il y a désormais plusieurs expert·e·s, sexologues, éducateur·rice·s sur le bout de nos doigts qui peuvent nous inspirer et nous conseiller sur le sujet. En effet, la solution peut même se trouver dans notre fil de réseaux sociaux quotidien. Depuis quelques années, des comptes Instagram se concentrent sur la sexualité des femmes et des autres minorités sexuelles. Il y est question, et ce, sans tabous, d’orgasmes, de clitoris, d’éjaculation féminine, du plaisir procuré par la masturbation ou encore de l’importance de la communication avec un·e partenaire. Ce n’est que depuis très récemment que des études plus sérieuses sont menées sur la sexualité féminine, et chacune de ces nouvelles informations sont capitale dans la réduction des complexes par rapport au corps et pour éviter le miroir stéréotypé qui nous est renvoyé constamment. Cela permet à des comptes Instagram comme omgyesdotcom, thevaginablog, maman_ sexo, club_sexu, jouissance​.club, de rendre plus accessible le contenu de ceux-ci. Ces comptes cherchent à démocratiser les enjeux féminins en lien avec la sexualité, notamment en publiant des statistiques pour normaliser ce qui est considéré comme « problématique », comme la douleur lors des règles ou le faible taux d’orgasmes. Ces pages Instagram sont une porte d’entrée à la découverte d’applications comme Dipsea, Oh Cleo et Emjoy, qui proposent gratuitement (puis par le moyen d’une rémunération modeste) des conseils sur l’expérience de la sexualité peu importe ce qui a été vécu par l’utilisatrice précédemment, de la déstigmatisation de conditions comme l’endométriose, la douleur pendant les relations sexuelles, jusqu’à l’expérience d’un premier orgasme. On y retrouve aussi un contexte efficace pour effacer la peur d’explorer et prendre confiance en ses fétiches et ses attirances, ce qui peut amener à la découverte des histoires audios érotiques qui plaisent davantage à un certain auditoire s’intéressant plus à l’écoute qu’à l’image, et qui laisse une place plus importante à l’imagination et à l’intimité. Selon Gina Gutierrez, cofondatrice de Dipsea, la recherche montre que les hommes préfèrent les images graphiques, tandis que les femmes préfèrent les histoires érotiques. Elles peuvent être elles-mêmes et s’échapper de la réalité plus facilement qu’avec la pornographie visuelle, reflétant souvent des stéréotypes sexuels qui enferment les femmes dans des cases dont elles veulent se défaire. Puisque ces applications sont souvent fondées par des femmes, on remarque rapidement l’absence du regard masculin, encourageant les visions erronées et empoisonnantes. On va au-delà de l’idée de la pénétration absolue, ajoutant davantage de douceur et de contrôle pour la personne auditrice avec une attention particulière accordée au respect. Cela redonne une agentivité féminine qui s’est perdue avec le temps et offre aux femmes davantage d’options pour apprendre à se connaître sans nécessairement avoir besoin d’un partenaire masculin à tout prix pour effectuer leur propre exploration sexuelle.

Le plaisir de s’éduquer

Avoir cette documentation à portée de main a changé ma vision de la sexualité et m’a enlevé des peurs sur mon propre corps. Je me suis rendue compte que parler de sexualité féminine ouvertement n’est pas aussi pervers et démoniaque qu’on pourrait le croire. Je dirais même qu’il faut en parler parce qu’en bâillonnant tout ce qui est en lien avec ce sujet, les problèmes de notre corps demeurent inconnus, amenant de la honte à
se sentir bien dans ce que nous sommes. Il s’agit de s’éduquer à notre propre rythme et de ne pas se condamner à se réfugier dans ces mauvais plis de retrait, de chuchotements à la place de conversations ouvertes sur le sujet. 

En apprendre sur notre sexualité permet d’apprendre à aimer, à s’aimer et à se dire que notre ressenti est valide. Apprendre à définir ses propres limites et comprendre ses propres désirs devrait être un droit, et non un choix, ce qui est difficile à atteindre en tant que femme, et c’est sans mentionner les personnes non-binaires, transgenres ou tout simplement queer. Il faut alors se rappeler que cela nous a été refusé pendant plusieurs années. Grâce aux nombreuses éducateur·trices sur les réseaux sociaux et les applications qui ont été créées, la sexualité des femmes serait enfin peut-être au bout de nos doigts. Enfin !


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