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Rap, horreur, métal et expériences

Backxwash utilise la musique expérimentale à des fins sociales.

Laura Tobon | Le Délit

Ashanti Mutinta, autrement connue sous son nom de scène Backxwash, est une artiste qui redéfinit le genre heavy sur la scène musicale contemporaine. Son parcours hors du commun a retenu mon attention et a suscité mon admiration. Originaire de Zambie, Backxwash a commencé en tant qu’artiste en produisant des beats avec le logiciel FL Studio, avant d’aller en Colombie-Britannique pour étudier l’informatique. Après avoir obtenu son diplôme, elle a emménagé ici, à Montréal, où elle a fait son coming-out en tant que femme transgenre, puis s’est lancée dans le rap en 2018 avec ses deux premiers EPs, F.R.E.A.K.S. et Black Sailor Moon. Dans les années suivantes, Backxwash a sorti quatre albums, chacun avançant une association musicale inédite de rap, métal, musique industrielle, rock expérimental gothique, et parfois, pur son de cri d’horreur. Son album God Has Nothing to Do with This Leave Him Out of It, sorti en 2020, a été récompensé par le Prix de musique Polaris. Selon moi, son album le plus récent, His Happiness Shall Come First Even Though We Are Suffering, sorti à l’Halloween de l’année passée, est sa meilleure œuvre jusqu’à maintenant, le zénith de ses talents en tant que parolière, productrice et artiste conceptuelle.

Backxwash imagine dans sa musique une vision de musique heavy non limitée par les restrictions de genre, une vision qui peut englober une panoplie de références culturelles. C’est une artiste unique car elle offre un point de vue particulier et rare sur le rôle social de la musique heavy metal. La musique de Backxwash décrit la lutte quotidienne contre les traumatismes profonds que les institutions religieuses infligent trop souvent aux personnes transgenres, une lutte que l’artiste a vécu en grandissant dans un contexte strict, conservateur et chrétien auquel elle fait souvent référence dans son œuvre. Dans le cas de l’artiste, cette lutte contre les traumatismes de transphobie est liée inextricablement à la lutte quotidienne des personnes de la diaspora africaine contre le racisme. Elle combat ces traumatismes nés du racisme systémique et la transphobie des institutions religieuses dans ses œuvres en créant un personnage de scène satanique, une réponse au contexte chrétien transphobe dans lequel elle a grandi, mais aussi aux méconnaissances coloniales de la spiritualité traditionnelle de ses ancêtres parmi les peuples Tumbuka et Chewa, une spiritualité qu’elle a adoptée pendant le processus de déconstruction des dogmes qu’elle a reçus pendant sa jeunesse. L’utilisation d’une image satanique n’est pas inconnue dans l’histoire du métal, mais ici elle est fortement mobilisée dans le contexte de la survie, de la résistance, et de l’apaisement d’une artiste transgenre et noire, c’est-à-dire membre d’une population exposée de façon disproportionnée à la mort dans un monde postmoderne qui perpétue toujours la mort sociale des personnes noires ainsi que l’imposition violente d’un système patriarcal binaire de genre.

« Backxwash fait un rugissement infernal de défi face à une société mondiale »

La musique de Backxwash pousse un rugissement infernal de défi face à une société mondiale qui mène bien trop souvent à la honte, à la haine de soi et à la mort pour les individus comme l’artiste. J’ai eu la chance le 9 février d’assister à un spectacle récent à la Sala Rossa, ici à Montréal, auquel Backxwash a performé aux côtés de Jodie Jodie Roger et Dreamcrusher, deux autres musicien·ne·s expérimental·e·s queer noir·e·s. Pendant ce spectacle, j’ai eu le sentiment inexplicable d’assister sous mes yeux à un épisode dans la construction de l’avenir musical. Pendant sa prestation Backxwash a montré entre autres des vidéoclips des révolutionnaires noir·e·s Malik el-Shabazz et Angela Davis, un rappel puissant de la lignée politique et artistique des siècles de rêves et résistances radicaux des personnes noires à travers la diaspora mondiale qui a nourri les conditions de possibilités pour cet avenir musical réimaginé. En tant que musicien·ne trans montréalais·e moi-même, je vois comme une énorme bénédiction le fait de pouvoir être témoin de l’ascension artistique merveilleuse de ce personnage au talent unique.


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