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ATTENTION : ovni cinématographique !

La trajectoire réussie du premier long-métrage de Marc-Antoine Lemire.

Olivier Plin

Marc-Antoine Lemire vous propose de monter à bord d’un petit ovni cinématographique qui promet de vous extraire momentanément de la réalité. Une réussite pour le jeune réalisateur québécois qui signe avec Mistral Spatial (2022) son premier long-métrage expérimental et sensible.

La richesse de sa proposition réside d’abord dans ses nombreuses innovations narratives et formelles. Le film se déploie en trois actes, avec trois formats cinématographiques, trois ambiances, et de multiples procédés originaux, notamment des effets de distorsion de l’image. Sans jamais se limiter, le réalisateur explore et mélange les influences et les genres. Il propose un regard réaliste et sensible sur la douleur et le manque, puis bifurque vers la science-fiction, évolue en thriller sonore, pour finir sur un récit initiatique empruntant à la comédie musicale.

Le film débute par une « banale » rupture amoureuse, mais se transforme très vite quand le personnage principal, Sam, est victime d’un phénomène sonore et lumineux inexplicable dans une rue de Montréal. Il perd connaissance pendant plusieurs heures et se réveille sans aucune autre trace de cet épisode qu’une mélodie lancinante dans ses oreilles… Après avoir cru à une simple chute de pression, il pense ensuite avoir été victime d’un enlèvement extraterrestre et développe une véritable paranoïa accentuée par les sons répétitifs qu’il perçoit depuis son accident. Cette incertitude teinte le film d’un aspect angoissant qui n’enlève rien à son caractère tendre et drôle. En parallèle de la quête presque maladive de l’explication du phénomène, le réalisateur explore subtilement les possibles réactions face à une séparation douloureuse, qui vont du repli sur soi à la tendance à se réfugier dans l’imaginaire. La présence continue des fidèles amis de Sam, Alex et Véro, rappelle aussi l’importance des liens amicaux dans les périodes de perte de repères émotionnels.

« Le film met en scène l’étrangeté dans un quotidien banal »

Le film dénote d’une capacité étonnante à mettre en scène l’étrangeté dans un quotidien banal. La deuxième partie, à l’atmosphère plus sombre servie par une image en noir et blanc, rappelle la nouvelle fantastique du Horla de Maupassant. Mettant en scène des personnages en proie à des phénomènes étranges qu’ils attribuent à des créatures surnaturelles, les deux œuvres jouent d’une ambiguïté entre explications rationnelles (comme la folie, la maladie ou l’épuisement) ou surnaturelles (comme une obsession fondée sur un objet existant, mais hors des limites de la science cartésienne).

Au-delà de la qualité de sa narration, le réalisateur exploite à merveille les potentialités du médium cinématographique, notamment l’aspect sonore. Comme le magistral Sound of metal (2021) de Darius Marder qui s’appuyait sur un travail poussé autour du son, Mistral Spatial est un de ces films qui constituent une véritable expérience sensorielle, immersive et troublante. Le son est mis au service de l’intrigue et de l’angoisse, accompagné par la puissance et l’aura mystique qu’exerce l’instrument joué par Sam, le thérémine. C’est donc aussi un film qui nous pousse à mieux écouter le monde. Comme Sam, on a envie de sortir son dictaphone pour enregistrer les sons de la neige qui crisse sous les pas ou le silence d’un retour de soirée.

Jamais prévisible et toujours étonnant, le cinéaste réussit à nous emmener là où on ne l’attend pas, jusqu’à un camp communautaire où les participants sont amenés à explorer leur animal intérieur en grenouillère dans la forêt. Au-delà de l’éternelle question de la possibilité d’une vie extraterrestre posée par les films de science-fiction, le film se construit plus largement autour d’une quête de soi-même. Comment trouver sa place, après une rupture, dans une communauté ou dans l’univers tout entier ? Mistral Spatial réussit le pari en posant cette question existentielle de façon innovante et ludique.


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