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Espoir à bout de souffle

Portrait d’une jeune fille juive pendant l’Occupation.

Laura Tobon | Le Délit

Une jeune fille qui va bien est le premier long métrage de Sandrine Kiberlain. L’actrice accomplie passe désormais derrière la caméra en tant que réalisatrice. Sorti en 2021 en France, le film fut sélectionné dans la section « semaine de la critique » au Festival de Cannes de 2021. Interprétée par Rebecca Marder de la Comédie-Française, également connue pour son rôle dans Simone, le voyage du siècle, la pétillante Irène nous emporte dans un élan d’espoir alors même que le spectateur est désillusionné par la réalité de l’Histoire.

En plein été 1942 sous l’Occupation, Irène est une jeune Française juive de 19 ans. Passionnée de théâtre, elle prépare le concours d’entrée au conservatoire avec pour ambition de devenir comédienne. Sa famille l’observe découvrir la vie, les relations amoureuses et amicales et le monde du théâtre. À l’écran, on la voit courir dans Paris entre ses répétitions de L’Épreuve de Marivaux, son travail étudiant et sa vie sociale. Très complice de sa grand-mère Marceline, jouée par Françoise Midhoff, qui fait office de mère de substitution, Irène lui livre les détails de son quotidien et reçoit ses conseils. Marceline est une femme résistante, qui désobéit fièrement aux lois antisémites de Vichy : « il ne faut jamais avoir peur », dit-elle. 

Naturellement, Irène a peur de se tromper, de ne pas avoir choisi le bon amour, peur de ne pas réussir, de ne pas être à la hauteur, mais elle a avant tout peur pour sa vie et celle de sa famille. En dépit de son humour, il se cache bien souvent derrière son sourire une larme, démarquant la justesse du jeu de Rebecca Marder. Sa joie de vivre et son audace se voient constamment freinées par la machine implacable des mesures imposées par le régime de Vichy à l’encontre des familles juives. On la voit d’abord forcée à mentionner son identité juive sur ses papiers, puis on constate la nécessité de cacher les coupons dans un mouchoir et d’empaqueter leurs effets personnels avant que le gouvernement ne les confisque. « Ils vont nous prendre tout ce qui nous relie à l’extérieur, la radio, les vélos… » dit Marceline. 

« Elle fait luire la ferveur, la vie, la jeunesse et ses rêves, la fougue amoureuse et l’insouciance, l’amour familial, l’amitié mais surtout, la passion pour le théâtre »

La bande-son du long métrage – faite par Marc Marder, le père de l’actrice principale – est inspirée par la musique yiddish. C’est d’ailleurs par le biais musical que j’ai moi-même versé une larme lorsque Irène, son frère et sa grand-mère ont chanté, émus, une chanson d’anniversaire en yiddish au père tout en sachant qu’à tout moment, ils pourraient être séparés de force.

D’une beauté délicate et d’une sensibilité infaillible, Sandrine Kiberlain semble réussir son passage derrière la caméra. Elle crée une capsule temporelle qui – même en connaissant l’atrocité de la condition juive sous l’Occupation – fait luire la ferveur, la vie, la jeunesse et ses rêves, la fougue amoureuse et l’insouciance, l’amour familial, l’amitié mais surtout, la passion pour le théâtre. Sans faux pas, elle ne tente pas d’apporter de la légèreté à un sujet bien trop douloureux, mais elle souligne plutôt une simple humanité, une histoire parmi tant d’autres qui met en lumière la vie de ceux qui l’ont perdue.


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