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Darwin en vie en 2022 !

Le théâtre de Quat’sous met en scène un scandale scientifique désastreux.

Marie Prince | Le Délit

Dès le début de la pièce, Vous êtes animal, présentée au Théâtre de Quat’sous, m’a intéressé par l’uchronie qu’elle propose ; elle imagine ce qui se passerait si Charles Darwin avait publié sur L’Origine des espèces en 2022. La pièce, qui se joue du 17 janvier au 11 février, est une création de Jean-Philippe Baril-Guérard. En se présentant lui-même sur scène, il partage avec nous ses enquêtes sur cette publication « récente » de Darwin, suivi par les réactions controversées du public contemporain sur les réseaux sociaux, dans les médias, et dans le public même du théâtre. Dans un style de théâtre documentaire, la pièce combine dialogues réalistes et brèves projections vidéos. Vous êtes animal est un grand succès qui porte un message assez provocateur et sombre sur l’héritage de Darwin et des pseudo-scientifiques qui ont repris son travail.

La pièce présente un message compliqué à propos de la responsabilité que L’Origine des espèces tient dans l’histoire de l’idée des races et sur l’origine du racisme scientifique. C’est aussi l’histoire d’un homme qui doit se défendre contre les médias qui l’attaquent de tous côtés et dénaturent ses idées d’une façon grotesque et désastreuse. Les paroles que Baril-Guérard prononce au début du spectacle forment la thèse pour tout le spectacle : « jusqu’où peut-on aller pour défendre des idées ? ». La mise en scène de la pièce est aussi très originale. Des caméras portatives sont utilisées par les six acteurs, qui se filment eux-mêmes et se projettent en direct sur un écran au milieu de la scène. À d’autres moments, ils apportent les caméras jusque dans les coulisses et jouent la scène à distance. Cette utilisation d’une narration partiellement enregistrée dans une pièce de théâtre montre l’hypocrisie d’un peuple moderne, préférant communiquer en ligne que de discuter les enjeux face à face, notamment sur Instagram. 

« La pièce présente la responsabilité que L’Origine des espèces tient dans l’origine du racisme »

Ce qui m’a vraiment impressionné, c’est la manière dont seulement six acteurs et actrices peuvent habiter la trentaine de personnages qui apparaissent sur scène. Même les représentations des personnages anonymes sur les réseaux sociaux, qui ne sont parfois sur la scène que pour une douzaine de secondes, se distinguent par quelques petits changements de corps et de voix. Cette attention aux détails participe au réalisme de la mise en scène, et à la terreur de voir cette uchronie se réaliser. Lyndz Dantiste mérite une ovation pour son interprétation de Darwin. Au cours des quatre-vingt dix minutes du spectacle, on le voit progressivement se transformer d’un homme de peu de mots en un être véritablement tyrannique.


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