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Refuser l’inacceptable

Tu ne me croiras pas donne une voix aux victimes de la guerre.

Éva-Maude TC

Mise en scène par Frédéric Blanchette, la pièce Tu ne me croiras pas, représentée au Théâtre de
la Licorne jusqu’au 8 décembre, aborde le sujet des relations humaines durant la guerre. Portée par une mise en scène anxiogène, la pièce dénonce notre indifférence face aux conflits actuels. Elle présente deux anciens amants qui se retrouvent dans un pays coupé en deux, entre Nord et Sud, désirant échapper à la violence. Au sein de cette nation fictive déchirée par la guerre, et où rôde la mort, Elle et Lui (c’est ainsi qu’ils se nomment) se retrouvent dans une manufacture abandonnée et « font la révolution » en s’aimant en résistance à l’absurde. Avec la promesse d’oublier cette lutte fratricide, ils mettent tellement d’amour dans l’endroit qu’il n’y a de place pour rien d’autre.

N’ayant jamais connu la guerre, et touché par le texte de Guillaume Lapierre-Desnoyers, le metteur en scène Frédéric Blanchette a voulu explorer ce terrain inconnu. La pièce au décor minimaliste, habitée par des personnages anonymes et dénuée de tout contexte temporel, géographique, historique et politique, donne une voix à ceux qui sont condamnés au silence. C’est autour d’un simple tas de ruines présent au centre de la scène que le conflit amoureux se joue, alimenté par les paroles crues, le goût du sang et les espoirs fanés. L’atmosphère pesante de la guerre est également transmise par un jeu de lumière exceptionnel. L’on distingue l’inscription « We will fight until the end » (« Nous combattrons jusqu’au bout ») lorsque les couleurs sont chaudes, illustrant l’envie de poursuivre le combat, et on lit « mes yeux visent mal sous les larmes » lorsque les tons se refroidissent, montrant la dualité entre humanité et violence.

« Entre coups de feu et explosions, les dialogues des acteurs sont destinés à choquer le public. Ils donnent une voix à ceux qui n’en ont plus »

Au fil des dialogues, on comprend les différentes interrogations des protagonistes. Elle s’interroge sur le pouvoir de la volonté, l’amour et la possibilité d’une résistance. Lui est torturé par les questions de la culpabilité et de la responsabilité personnelle dans un acte de légitime défense. La tension entre les personnages, opposés par leur vision du conflit car originaires de côtés différents, va s’installer grâce aux dialogues plutôt doux au début de la pièce, qui prennent de l’intensité et alternent entre cris de rage et délicatesses amoureuses. Paroles crues et percutantes – « Imagine leurs corps, entends les âmes hurler » (Lui) – imposent un rythme frénétique au spectateur. Accentués par la bande sonore réalisée en direct par Vincent Carré, composée de différents coups de feu et explosions, les dialogues des acteurs sont destinés à choquer le public. Ils donnent une voix à ceux qui n’en ont plus.

En outre, les monologues des personnages remettent en question la réaction de la société civile à l’annonce de la guerre. La vision médiatique permet de nous détacher facilement de ces catastrophes humanitaires, car la distance géographique encourage la distance morale. Tu ne me croiras pas questionne ainsi la société sur sa capacité d’action contre les actes de violences inhumains et surtout sur l’écoute dont elle fait preuve envers les victimes de ces conflits meurtriers. Il est important que l’on croie et que l’on respecte les voix qui osent dénoncer ces atrocités pour que plus jamais cela ne se reproduise. Nous devons refuser l’inacceptable.


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