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Coup de foudre à Cinemania

Récit de deux semaines de festival du cinéma francophone

Cinemania

La dernière fois – et peut-être la seule fois – où je me rappelle être entré dans une salle de cinéma pleine, une salle dont pas un seul siège ne restait inoccupé, remonte au jour où, force d’insistance, mes parents avaient accepté à contrecœur que je les accompagne dans le vieux cinéma municipal assister à la sortie d’Intouchables du tandem de réalisateurs Eric Nakkache et Olivier Toledano. C’était en 2011, j’avais neuf ans. Depuis, chaque séance ou presque offre le spectacle d’une désertion, un abandon progressif de la salle obscure au profit du confort offert par les plateformes de vidéo à la demande.

C’est une tout autre image du cinéma, bien plus réjouissante, qu’ont présenté pendant deux semaines chacune des projections du festival de films Cinemania, le plus important festival de cinéma francophone d’Amérique du Nord, qui s’est tenu à Montréal du 2 au 13 novembre derniers. Et tout est différent dans une salle pleine, comme s’attachait à le souligner le cinéaste Lukas Dhont lors de la présentation de son film Close : l’expérience du film est tellement plus forte, plus physique, lorsqu’elle est partagée avec des centaines d’inconnus. Il s’agissait du premier festival de cinéma auquel j’assistais. N’étant pas particulièrement cinéphile, je crois que je n’avais jamais enchaîné un si grand nombre de projections en un laps de temps si court que durant ces deux dernières semaines. Cet événement exceptionnel m’a bien sûr permis de voir des films excellents, et d’autres nettement plus ennuyeux, mais aussi de rencontrer les équipes, les acteurs, les réalisateurs à l’origine de certains d’entre eux, et surtout de me laisser prendre à cette magie du cinéma que j’avais complètement oubliée, ce septième art que Guilhem Caillard, directeur général de Cinemania, désignait en ouverture du festival comme le véritable « ciment de nos sociétés ».

Un festival sous le signe de la diversité

Pour sa 28ème édition, Cinemania mettait à l’honneur le Luxembourg, ce petit pays européen de 645 000 habitants situé entre l’Allemagne, la Belgique et la France, dont la contribution à l’industrie cinématographique mondiale consiste essentiellement à participer à de grandes coproductions internationales. Le premier ministre du Luxembourg, Xavier Bettel, était par ailleurs présent à la cérémonie d’ouverture du festival le 2 novembre dernier au Cinéma Impérial, où il a prononcé un discours à la fois drôle et percutant qui dévoilait le thème le plus cher, semble-t-il, à chacun des organisateurs de la compétition : la promotion de la diversité, et en particulier la diversité de la francophonie, cette chose « si vaste que personne ne peut en saisir tous les contours » selon Pascale Bussières, coprésidente du jury (compétition « Visages de la Francophonie »).

Symbole de ces échanges, c’est un film québécois, tourné à Montréal, adaptant un livre de Romain Gary, et mettant en scène un acteur français – Denis Ménochet, omniprésent dans la compétition (à l’affiche de pas moins de quatre films) – qui a lancé le festival. Chien blanc, réalisé par Anaïs Barbeau-Lavalette, propose une réflexion passionnante autour de la nature du racisme et de la question du privilège blanc dans l’Amérique des années 1960. Il s’agit de l’histoire d’un chien errant adopté par le couple formé par Jean Seberg et Romain Gary, tous les deux très impliqués dans les milieux militants pour les droits civiques, qui se trouve avoir été dressé pour attaquer spécifiquement les Noirs, et que Gary refuse de faire euthanasier dans l’espoir de le « déprogrammer ». Chien blanc constitue un plaidoyer pour la tolérance, mais aussi pour la mémoire des erreurs du passé, dont la force réside dans sa capacité à présenter coup sur coup les images les plus terrifiantes (d’un chien pourchassant des écoliers noirs) et les plus belles de simplicité (un rayon de soleil, un jardin fleuri). 

Cinemania Peter Von Kant de François Ozon

La force du cinéma francophone

Au-delà de Chien blanc, le panorama du cinéma francophone offert par Cinemania a de quoi réjouir. Du thriller franco-espagnol As Bestas (R. Sorogoyen) au huis-clos Peter Von Kant sur la vie de Rainer W. Fassbinder, signé François Ozon, en passant par Les Choses humaines (Y. Attal, France), Rodeo (L. Quivoron, France), Rodéo (J. Desjardins-Paquette, Canada), L’Origine du Mal (S. Marnier, Canada/France), L’astronaute (N. Giraud, France) ou Arrête avec tes mensonges (O. Peyon, France) ; le cinéma francophone offre cette année une longue liste de films poignants, très convaincants. Ils ont comme point commun de susciter chez le spectateur des émotions très fortes, sans forcément entrer dans une grande dépense technique ; qu’ils vous fassent couler des larmes de joie à l’instar de L’astronaute, un magnifique conte moderne sur le pouvoir des rêves, ou vous plongent dans un trouble terrifiant avec Les Choses humaines, qui questionne intelligemment la complexité des affaires de violence sexuelle.

« Le cinéma francophone offre cette année une longue liste de films poignants, capables de susciter des émotions très fortes sans entrer dans une grande dépense technique »

Attention cependant, comme tout festival, comme tout cinéma, il y a aussi eu des trous noirs d’ennui, des scénarios bancals et des films si lents qu’ils ont accéléré le vieillissement de mes cellules : à l’instar du film Le monde d’hier de Diastème, dont le vide scénaristique est confondant, et dont le titre n’a aucun rapport avec l’œuvre de Zweig (ni avec rien du tout, en fait), ou encore du sublime Corsage (M. Kreutzer, Luxembourg/Autriche/Allemagne) dont le seul, mais inexcusable défaut est d’offrir l’énième légende d’un personnage qui ne m’a jamais intéressé (parce qu’elle était très loin de l’icône indépendante et féministe qu’on a bien voulu faire d’elle), j’ai nommé l’impératrice Sissi.

Parmi les films à plus gros budget qui ont aussi marqué le festival, on peut citer d’abord Couleurs de l’incendie du réalisateur-acteur Clovis Cornillac, qui était présent lors des projections. Cette adaptation du deuxième roman de la trilogie intitulée « Les enfants du désastre » de Pierre Lemaître correspond tout à fait à l’idée que l’on pourrait se faire d’un cinéma romanesque. En multipliant les intrigues, les personnages, les lieux, les mouvements de caméra et les prises de vue, le film de Cornillac s’inscrit dans une grande générosité, une richesse cinématographique qui dépasse presque le rythme effréné du roman. Cependant, le film le plus ambitieux présenté au festival (et l’un des plus réussis) reste sans aucun doute Simone, le voyage du siècle d’Olivier Dahan. Il présente la vie de Simone Veil dans une chronologie éclatée, en cloisonnant chacun de ses combats politiques, tous plus importants les uns que les autres (comme le droit à l’avortement), et en laissant la tragédie de la Shoah traverser le film comme elle a marqué chaque instant de sa vie.

Fermer les yeux et pleurer

Pour finir, si on me demandait quel film j’ai préféré, lequel j’ai trouvé le plus juste, le plus original et le plus beau : je répondrais, sans l’ombre d’une hésitation, Close du jeune réalisateur belge Lukas Dhont. Parce qu’il parvient à décrire avec simplicité la pureté de l’amitié qui unit deux garçons de 13 ans ; parce qu’il montre la violence du regard étranger qui se pose sur leur relation, le regard de leurs camarades de classe ; parce qu’il fait pleurer sans jamais appeler aux larmes ; parce qu’il suggère sans montrer et montre sans dire ; et parce que ses personnages sont symboliquement toujours pris dans le mouvement, dans une perpétuelle fuite en avant : Close est un chef‑d’œuvre, doublement récompensé dimanche 13 novembre par le Prix du Jury et le Prix du Public du Festival Cinemania. Il fait partie de ces films dont le synopsis ne vous inspire pas grand-chose, que l’on va voir sans trop s’y être préparé, mais qui vous laissent, dans l’âme, et dans les yeux, une marque indélébile. C’est cela le coup de foudre. C’est cela la magie du cinéma. 


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