Aller au contenu

Dites « je le jure ! »

Avec Verdict, au Gesù, prenez votre place au tribunal.

Paul Ducharme | Photographe

Le décor est minimaliste au possible : deux tables, deux chaises, et, au fond de la scène, à mi-hauteur, un écran rectangulaire horizontal où s’étale une femme aux yeux bandés, allégorie de la justice aveugle. Le spectacle s’annonce tout en sobriété. En m’installant dans les fauteuils du théâtre du Gesù, situé sous l’église du même nom, je suis gagné par cette émotion particulière qui règne dans les tribunaux, une atmosphère froide et pénétrante, intimidante et sévère, qui pourrait furtivement susciter en moi la peur d’un ennui à venir. Cependant, rassurez-vous, en une heure et demie de spectacle, Verdict n’est pas parvenu à m’arracher le moindre bâillement. 

Revivre les grandes plaidoiries

Dans un premier temps, les deux acteurs de la pièce, Marie-Thérèse Fortin et Paul Doucet, s’efforcent de nous faire revivre trois des plaidoiries les plus emblématiques de l’histoire judiciaire récente du Québec, en interprétant toujours le texte original. Il y a, d’abord, l’affaire Morgentaler dans les années 1970, soit l’histoire d’un médecin poursuivi parce qu’il pratiquait des avortements clandestins à Montréal. Puis, au début des années 2000, la plaidoirie enflammée de Me Anne-France Goldwater en faveur du mariage entre personnes de même sexe, qui reste sans doute la plus touchante, convaincue et percutante du spectacle. Finalement, la première partie s’achève par le récit glaçant de la mort d’une mère de famille atikamekw, Joyce Echaquan, sous un déluge d’insultes racistes à l’hôpital de Joliette en septembre 2020.

« Verdict nous fait éprouver ces sentiments de doute et d’indécision qui sont une constante de la vie des magistrats »

Malgré le manque de lyrisme de certaines plaidoiries, les avocats – qui font complètement oublier les acteurs – réussissent avec brio à restituer l’émotion du moment ; on se laisse aisément porter par leur argumentation, quitte à les applaudir en pleine déclamation. La structure de la pièce et sa mise en scène, par Michel-Maxime Legault, ont été très réfléchies pour éloigner tout risque de lassitude de l’auditoire. Ainsi, chaque affaire est contextualisée par de courts résumés documentaires, qui encadrent la plaidoirie, et un entracte est aménagé entre les deux parties, bien distinctes, de la pièce.

Chacun son tour

Dans une seconde partie, l’auditoire que nous sommes change de rôle ; nous devenons jurés d’une cour, appelés à nous prononcer dans l’affaire Parisis. Celle d’un homme qui, lors d’une intervention policière chez lui, en pleine nuit, a tiré sur un policier, et l’a tué. S’agissait-il d’une situation de légitime défense ou de violence gratuite ? Les avocats prennent successivement le parti de la défense et de la Couronne, détaillent l’affaire, et, finalement, s’en remettent à la décision du public. 

Soudain, on prend conscience qu’il n’existe pas d’affaire facile à juger : que les faits les plus simples peuvent être interprétés de vingt manières différentes, et que toute décision judiciaire entraîne des conséquences importantes. Au-delà des mots, Verdict nous offre la possibilité d’éprouver ces sentiments de doute et d’indécision qui sont une constante de la vie des magistrats, et qui font toute la complexité de leur métier.

C’est une expérience qui touche à la conscience civique de chacun, en plongeant les spectateurs dans une saine incertitude, une fascinante introspection.

Tarif préférentiel étudiant de 34,94$, Verdict est représenté au Gesù jusqu’au 8 décembre 2022.


Dans la même édition