Aller au contenu

Survol du second débat des chefs

Un affrontement riche en propositions, mais aussi en désaccords.

Laura Tobon | Le Délit

Les chefs des cinq partis politiques québécois les plus importants se sont affrontés jeudi soir lors d’un débat sur les ondes de Radio-Canada. Ce second débat, qui survient une semaine après le Face-à-face des chefs organisé par TVA, a permis aux candidats d’exposer plus clairement leurs promesses électorales par rapport à cinq enjeux : l’environnement, le coût de la vie, le système de santé, l’éducation, la langue française, l’immigration et l’identité.

Lors de ce débat, s’affrontaient François Legault, chef de la Coalition avenir Québec (CAQ); Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ); Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois (PQ); Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte parole de Québec solidaire (QS); et Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec (PCQ).

Contacté par Le Délit, le Pr Daniel Béland, professeur au Département de sciences politiques de l’Université McGill et directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill, nous a partagé ses commentaires sur le débat.

Environnement : Comment régler l’enjeu du siècle ?

Concernant l’environnement, les chefs ont pu présenter leurs propositions pour s’attaquer au problème des changements climatiques. Gabriel Nadeau-Dubois a défendu sa taxe sur les véhicules polluants et a soutenu que l’économie verte représente la colonne vertébrale du projet sociétal de QS. Le PLQ voit la transition écologique comme un projet de société. La CAQ mise sur le transport collectif, le recyclage, l’énergie verte en milieu industriel, le commerce agricole local, l’énergie propre et les bâtiments propres. Paul Saint-Pierre-Plamondon a souligné que le PQ proposait de doubler l’offre des transports en commun, de faire baisser le coût de ces transports à 1$ par jour partout dans la province, et de hausser les ventes de véhicules électriques. Éric Duhaime a exprimé le souhait du PCQ de rendre électriques tous les transports de la province, une mesure financée par les hydrocarbures. Le Pr Béland juge cette stratégie inefficace. Ce dernier constate surtout qu’« entre Legault et Nadeau-Dubois, il y a vraiment une dynamique de conflit ». « Legault attaque beaucoup QS, beaucoup plus qu’il attaque le PQ ou les libéraux, comme s’il voulait les marginaliser », ajoute-t-il.

Coût de la vie : Une guerre d’enchères sur les chèques

Face à l’inflation, les chefs ont proposé différentes mesures pour soutenir financièrement l’électorat québécois. François Legault propose une baisse d’impôts non-chiffrée, une remise d’environ 500$ et un chèque annuel de 2 000$ aux aînés. Dominique Anglade propose ce même versement annuel aux aînés, ainsi qu’un chèque annuel de 5 000$ aux familles. Paul Saint-Pierre-Plamondon propose une remise de 750$ à 1 200$, selon le revenu familial. De son côté, Éric Duhaime souhaite plutôt baisser les impôts et éliminer les taxes sur l’essence. Gabriel Nadeau-Dubois propose quant à lui un congé de TVQ sur les biens essentiels et priorise le règlement de la crise du logement.

Le PLQ compte financer ces mesures en taxant davantage les riches et en réglant la pénurie de main-d’œuvre. QS et le PQ misent sur la taxation des riches et la transition vers l’énergie verte. Le Pr Béland explique que lorsque Paul Saint-Pierre-Plamondon « parle d’environnement, ou de mesures plus progressistes, […] il vise les péquistes qui se sont tournés vers Québec solidaire ».

Santé : Plus de privé ou plus de public ?

La section du débat relative à la santé portait sur un enjeu central de l’élection : comment soigner le système de santé du Québec ? Seul Éric Duhaime a soutenu que la solution devait passer par le privé, proposant également un sommet non-partisan sur la santé mentale. Les autres chefs souhaitent plutôt améliorer le réseau public.

François Legault propose « plus de privé, mais du privé gratuit » et a saisi cette opportunité pour réaffirmer la nécessité des maisons des aînés, son alternative aux CHSLD. Les autres chefs proposent d’augmenter l’offre des soins à domicile pour désengorger ces établissements.

« Legault attaque beaucoup QS, beaucoup plus qu’il attaque le PQ ou les libéraux »

Pr Daniel Béland

Dominique Anglade a quant à elle mis de l’avant sa promesse de fournir un médecin de famille par personne si élue et souhaite « des conditions de travail acceptables pour tous nos professionnels de la santé ».

Paul Saint-Pierre Plamondon et Gabriel Nadeau-Dubois priorisent également une telle amélioration afin de ramener du personnel du réseau privé vers le réseau public, s’accordant également sur la nécessité de refinancer les CLSC.

Éducation et services aux citoyens : revaloriser les métiers en enseignement

Le thème de l’éducation s’est orienté vers la pénurie de personnel. Les cinq chefs se sont mis d’accord sur l’importance de revaloriser le métier d’enseignant. Pour Gabriel-Nadeau-Dubois, Paul Saint-Pierre-Plamondon et Dominique Anglade, cela passe par un plus grand soutien pédagogique et matériel. François Legault a plutôt parlé de bonus fiscaux.

Éric Duhaime prône la décentralisation d’un « système sur-centralisé et sur-bureaucratisé ». Sa désignation du corps enseignant québécois par « ces filles-là » était une tournure malhabile, selon le Pr Béland. François Legault, Dominique Anglade et Paul Saint-Pierre-Plamondon ont tous trois proposé de rendre plus équitable le système à trois vitesses en améliorant le système public. Le premier ministre a souligné l’ajout d’une heure de classe par jour durant son mandat. Pour Dominique Anglade, le gouvernement doit financer les programmes à frais additionnels au sein des écoles publiques. Selon Paul Saint-Pierre Plamondon, « il faut rééquilibrer [fiscalement] à la faveur du réseau public ».

Français, immigration et identité : seuils, francisation ou régionalisation ?

« Le premier devoir du premier ministre du Québec, c’est d’assurer l’avenir du français », a déclaré François Legault. Selon lui, la clé serait l’intégration des immigrants à la francophonie québécoise et le maintien de l’immigration francophone à 80%.

De son côté, Paul St-Pierre Plamondon propose une immigration 100% francophone, ainsi qu’«une vraie loi 101 restructurée ». Selon le Pr Béland, le chef du PQ tente de ramener des caquistes vers son parti en leur disant que François Legault n’en a pas fait assez pour la question linguistique.

Dominique Anglade, Gabriel Nadeau-Dubois et François Legault souhaitent protéger le français en distribuant plus également les nouveaux arrivants au Québec.

Le PLQ a « perdu des appuis chez les anglophones et les allophones, mais reste le parti numéro un pour ces groupes démographiques », estime le Pr Béland.

« Un des meilleurs débats depuis longtemps »

Globalement, le Pr Béland déclare que les candidats ont pu « s’exprimer, parler un peu de leur plateforme, de leur point de vue, critiquer les autres ». « Mais quand même, il y avait un ton plus feutré », note-t-il. Les électeurs auraient davantage profité de ce second débat que du premier. Paul Saint-Pierre Plamondon s’est de nouveau imposé, selon le Pr Béland. Le débat se serait également bien déroulé pour Gabriel Nadeau-Dubois et Dominique Anglade, cette dernière semble s’être améliorée par rapport au premier débat. La cheffe libérale « a montré que les libéraux voulaient se battre », en dépit d’une campagne difficile et d’un faible appui chez les francophones. De plus, il estime que François Legault se serait lui aussi amélioré après le premier débat, tandis qu’« en général, [Duhaime] paraissait plutôt effacé ». « C’est un des meilleurs débats que j’ai vus depuis longtemps, tant au provincial qu’au fédéral, en termes de contenu », conclut le Pr Béland.


Dans la même édition