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Sorgin afari

Un crayon sous l’oreiller : ensorcelée par mes cauchemars.

Alexandre Gontier | Le Délit

J’éteins, j’allume, rien. J’éteins, j’allume, dehors le hibou hulule. J’éteins, j’allume et rien. J’éteins.

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La nuit tombe. Des formes blanches s’enlacent et se confondent, elles jouent à la métamorphose. Leurs mouvements lents, longs, sensuels, me font sombrer dans une ivresse obsédante. Je discerne une croix, une dame, une sainte, sa couronne brille d’une clarté troublante. Je suis aveugle. Des globules bleus scintillent au plafond, explosent en des petits yeux océan qui dégoulinent sur les murs, pénètrent la masse blanche autrefois reine. Elle s’approche et je sens un épais voile blanc recouvrir mes jambes, m’enserrer les cuisses, me manger les pieds. Mes membres tremblent, les images me rongent les muscles. Je convulse. Je n’ai plus de chair, plus d’os, je ne suis que la peur envahissant les restes de mon corps. Les tableaux me viennent, Le Cri, je crie, le démon sur un torse, le visage de ma nuit.

Esprit hostile devient esprit pervers. J’inspire, j’expire, je me cogne la tête contre le mur, mes cheveux collés à la crasse des cauchemars. Ces petites plantes carnivores moisissent dans les creux de ma chambre, j’entends leur cœur battant, leurs pulsions cannibales. Je les défonce à coups de crâne. GoodbyeGoodbye, je chuchote, goodbye goodbye, je crie en moi-même, « I want you out of my head / I want you out of my bedroom tonight », méchant son de Post Malone. Je me pince la peau, fort, les doigts me dévorent, me brûlent le corps et mes ongles mangés, épineux, s’amusent avec les trous de ma dépouille. Tout me démange, j’atteins le fantasme. Des éclairs traversent le ciel noir de mon esprit hallucinogène. Je lèche le céleste, gobe les étoiles, embrasse la lune rouge sanguine. Son sang colore mes lèvres, je la mords et me nourris d’elle. Je sens la chaleur des gouttes dans ma gorge, le parfum frais, son âme glacée. Volcan ardent, éruption, danger. Les larmes coulent et je ne peux les arrêter.

J’ouvre les paupières, doucement je sors de ma nuit. Coup d’œil sous le lit, les démons ont tous fui. Mes sens dès lors s’éteignent et seule la vue s’accroche au réel. J’observe mon corps, compte les hématomes. Je vois les coups sur les murs, la bave luisante au sol, mes draps tachés de cendres, tous ces souvenirs d’une femme en feu. Je soupire… J’extirpe tout désir, purge mes viscères, ne reste que la fatigue, que le sommeil.

À l’aube je me repose, j’attends le crépuscule, je rêve de la terreur du soir. À l’aube je songe à la promesse du noir.


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