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L’emprise du déni

Dans Johnny d’Emma Haché.

Alexandre Gontier | Le Délit

La pièce Johnny (2021) représente à la fois une troisième pièce de théâtre pour adultes publiée chez Lansman et une troisième nomination au Prix théâtre littéraire du Gouverneur général pour l’autrice acadienne Emma Haché. Cette pièce raconte indirectement l’histoire de Johnny à partir de fragments présentés à rebours, en commençant par son absence inexpliquée, jusqu’à son adoption, plus de 20 ans plus tôt. L’inconfort chez les personnages principaux, Réal et Juliette, est palpable dès leurs premières interactions, que l’on peut qualifier de froides et brèves. Ils s’expriment si peu, et en utilisant tant de sous-entendus, que la cause de leur malaise – leur fils Johnny – est à peine mentionnée dans l’ensemble de l’œuvre. La pièce laisse planer un mystère autour de ce curieux personnage que l’on rencontre uniquement à travers les souvenirs de ses parents. 

À travers ces fragments, il devient évident que l’attitude des parents cache quelque chose, qui ne sera jamais nommé, au sujet de leur fils. Parfois, la mère tente d’aborder le sujet, mais se fait rapidement reprendre par son mari. Il réécrit toujours les événements au profit de son fils ; une banale conversation avec le directeur de son école devient une argumentation digne d’un avocat, et un coup de poing au visage de sa mère devient un simple accident. On apprend tout de même que Johnny est violent et alcoolique, mais la réelle cause de ses problèmes semble plus profonde. Toutefois, en raison du déni de Réal et Juliette, cela ne sera guère approfondi. La seule personne qui ose s’exprimer sur cette question est la mère de Juliette, qui le fait à mots couverts : « Johnny… ce garçon n’est pas normal ». Ainsi, le déni devient le thème de l’ensemble de la pièce. Il pousse les personnages à inventer une personnalité différente et même une meilleure vie à Johnny. 

De telles actions ont cependant des répercussions négatives sur les personnages. Plus précisément, le déni occasionne une incommunicabilité qui entraîne un étouffement. Celui-ci se ressent tout au long de la pièce. L’ensemble de cette situation mène la pièce à poser une question : est-ce que l’on peut se sortir d’un déni aussi profond ? Elle ne prétend toutefois pas être en mesure d’y répondre. Au contraire, la dernière scène laisse volontairement planer le doute. L’autrice a annoncé qu’elle planifie produire la pièce Johnny en coproduction avec sa compagnie acadienne de théâtre Vent debout, fondée en 2019. On devrait donc pouvoir voir les ramifications du déni de Réal et Juliette sur la scène prochainement.


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