Aller au contenu

Relations TA-étudiant : des liaisons en zone grise

Enquête sur les relations intimes entre assistants d’enseignement et étudiants.

Alexandre Gontier | Le Délit

On a tous entendu des rumeurs comme celle-ci : un étudiant échange des regards avec son assistant d’enseignement (TA, teaching assistant en anglais) pendant une conférence, ils matchent sur Tinder quelques semaines plus tard et, au scandale de tout leur entourage, ils finissent par avoir un date. Les réseaux sociaux regorgent de telles histoires, et les cercles étudiants en font souvent un sujet de commérage. Mais qu’en est-il vraiment des relations intimes entre assistants d’enseignement et étudiants ? Sont-elles si répandues à McGill ? Le Délit a voulu enquêter sur l’affaire pour révéler les histoires, les enjeux légaux et, bien sûr, les risques liés à de telles relations.

Les débuts 

Alors qu’elle suivait un cours de mathématiques, Holly* avait remarqué que son TA était particulièrement sympathique envers elle – ce qui ne lui déplaisait pas, puisqu’elle le trouvait attirant. Quand elle allait à ses heures de bureau, il la regardait avec un sourire aigu et faisait peut-être un peu trop allusion aux réponses des travaux notés quand elle lui posait des questions. Au début, elle n’accordait pas beaucoup d’importance à ce comportement : « Je pensais qu’il était juste gentil.» Mais quand ils ont matché sur deux applications de rencontres, elle a compris que les ambitions de son TA n’étaient peut-être pas aussi innocentes qu’elles pouvaient paraître. 

L’histoire d’Andrea* a commencé de façon similaire. À la session d’hiver 2020, iel avait seulement vu son assistante d’enseignement en personne quelques fois avant que la pandémie n’oblige les étudiants à travailler depuis leurs chambres, mais iel se présentait très souvent à ses heures de bureau virtuelles, et cela, pendant deux sessions consécutives. Contrairement à la situation de Holly, la TA d’Andrea n’a jamais insinué un quelconque intérêt romantique et « maintenait toujours son professionnalisme », selon l’étudiant·e. Quand Andrea lui a confessé qu’iel avait des sentiments pour elle, au milieu de la session d’automne 2020, l’assistante d’enseignement s’est montrée surprise mais a avoué qu’elle pensait ressentir la même chose.

Chaque étudiant peut avoir une raison différente de s’intéresser à son assistant d’enseignement. Pour Holly, en plus de son attirance physique envers la personne, le fait de coucher avec un TA était un fantasme personnel. « Je pense que c’est un fantasme de chaque étudiant de premier cycle à un moment donné », affirme-t-elle en entrevue avec Le Délit. Holly était surtout « intéressée par la dynamique de pouvoir », et pensait que « ce serait une chose amusante si [elle] couchait avec son TA ».

 « Je pense que c’est un fantasme de chaque étudiant de premier cycle à un moment donné »

Holly*, étudiante à McGill

Andrea ne partageait pas cette vision des choses : l”« étiquette » de TA était justement pour iel une raison de résister à ses sentiments. Questionné·e à savoir si le fait que son amante soit son assistante d’enseignement était un facteur d’attirance, iel a répondu que ce « n’était pas un facteur direct de [son] attirance pour elle », mais que « les qualités que cette dernière a développées en tant qu’enseignante » ont certainement joué un rôle. 

Un avis similaire était partagé par Dominic*, étudiant en science politique ayant couché avec son assistant d’enseignement pendant sa première année à McGill : « Je le trouvais attirant, qu’il soit assistant d’enseignement ou non, mais je pense que le fait de savoir qu’il était plus âgé – et plus sage – a ajouté une autre couche d’attirance.» 

La procédure à suivre

Quelques jours après avoir avoué partager les sentiments de son étudiant·e, la TA d’Andrea a rempli un formulaire pour déclarer officiellement à son département qu’elle était dans une relation avec iel. À la suite de la signature de ce document, l’assistante d’enseignement a immédiatement cessé d’évaluer les travaux scolaires d’Andrea, car cela aurait représenté un « conflit d’intérêt » et aurait pu lui valoir une suspension sans salaire. 

En effet, la Politique contre la violence sexuelle de l’Université stipule qu”« aucun membre du personnel d’enseignement ne peut nouer ou initier une relation sexuelle ou amoureuse avec un étudiant si le membre du personnel d’enseignement : a) a une autorité académique sur l’étudiant ; b) a une influence sur le cheminement académique de l’étudiant ; ou c) collabore académiquement avec l’étudiant ». Depuis 2019, à la suite des revendications de l’Association des étudiant·e·s diplômées employé·e·s de McGill (AÉÉDEM), les assistants d’enseignement sont officiellement inclus dans la définition de « personnel d’enseignement », ce qui voudrait dire qu’ils ne peuvent à priori pas avoir de relations intimes avec leurs étudiants. 

Pourtant, plusieurs règlements départementaux ainsi que des témoignages recueillis par Le Délit confirment qu’il suffit parfois que l’assistant d’enseignement ne note aucun travail de l’étudiant pour que la relation puisse continuer sans aucune sanction de la part de l’Université. Par exemple, Andrea continuait d’assister à des conférences tenues par sa TA sous le prétexte que « la participation n’était pas notée » pour celles-ci. Elle affirme qu’elle assistait aussi à des conférences tenues par d’autres assistants d’enseignement « pour être sûre [qu’elle] comprenait toute la matière ». Similairement, Brian*, étudiant en histoire qui vivait avec son assistant d’enseignement, a considéré « qu’il ne serait pas important de le dire [à l’Université] puisque [son TA] ne notait aucun de [ses] examens ».

 « Plusieurs règlements départementaux ainsi que des témoignages recueillis par Le Délit confirment qu’il suffit parfois que l’assistant d’enseignement ne note aucun travail de l’étudiant pour que la relation puisse continuer sans aucune sanction de la part de l’Université »

Pour ne courir aucun risque, la plupart des personnes contactées par Le Délit affirment cependant qu’elles ont attendu la fin du semestre pour avoir des relations intimes avec leurs assistants d’enseignement ou leurs étudiants. C’est le cas des étudiants de Tamar*, une TA qui affirme que « beaucoup d’étudiants [l’ont] contactée juste après la fin de la session ». « Pendant le semestre, je n’y ai pas vraiment pensé, mais vers la fin de la session, j’ai remarqué que certains étudiants étaient peut-être intéressés [par moi].» Elle a matché avec un de ces étudiants sur une application de rencontres moins de deux semaines après les examens finaux. Celui-ci lui a dit « c’est le meilleur jour de ma vie !», et elle a décidé de ne pas lui répondre.

Dans le cas de Holly, l’assistant d’enseignement n’a pas répondu à ses messages sur l’application de rencontres jusqu’à la fin de la session, « probablement parce qu’il savait que c’était illégal », selon l’étudiante. Ils ont couché ensemble une fois la session terminée, tout comme Dominic et son TA du département de science politique. Tamar affirme qu’elle aurait agi de manière similaire si elle avait été intéressée par un étudiant. « Tant que ce n’est pas pendant la session, je pense que tu peux faire ce que tu veux.»

La dynamique des relations

Les témoignages recueillis par Le Délit révèlent souvent une dynamique inégale entre l’étudiant et son assistant d’enseignement, et celle-ci a été vécue de façon différente par chaque personne passée en entrevue.

Selon Dominic, « la dynamique était telle que [son TA] avait plus de “pouvoir” que [lui]». Dans son cas particulier, cela n’a pas représenté une source de préoccupation puisque « c’était juste une rencontre unique » et que la relation était « de nature sexuelle et non romantique ». Un sentiment largement partagé par Holly, qui avoue cependant se sentir ambivalente par rapport au fait que son TA n’ait « même pas mentionné » le fait qu’elle était son étudiante pendant leur rencontre. La plupart des personnes contactées – assistants d’enseignement compris – affirment qu’elles n’ont pas trop pensé à la dynamique de pouvoir durant leur rencontre avec leur partenaire puisqu’il ne s’agissait que d’une seule rencontre.

Andrea, de son côté, était dans une situation différente puisqu’iel était ouvert·e à la possibilité que la relation avec sa TA évolue pour devenir sérieuse. Iel affirme avoir « ouvertement parlé » avec sa partenaire de leurs positions respectives d’étudiant·e et de TA, et ils ont ensemble décidé que toutes les initiatives devaient venir de « la personne avec le moins de pouvoir », soit Andrea, pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’abus de pouvoir.

Malgré leurs nombreuses précautions et la confiance qu’ils ont en leur relation, Andrea admet que la différence d’âge est parfois une source d’inconfort pour les deux. Iel a rencontré sa TA lorsqu’iel avait 19 ans, alors que sa partenaire avait 28 ans, et aucun des deux n’avait auparavant été dans une relation avec une différence d’âge de plus d’un an.

Par ailleurs, plusieurs sources ont confirmé que certains assistants d’enseignement ont pratiqué du favoritisme envers les étudiants avec lesquels ils avaient des relations. C’est par exemple le cas du TA de Holly ; celle-ci affirme que d’autres personnes dans sa conférence ne recevaient pas des réponses aussi détaillées qu’elle quand elles posaient des questions au TA à propos de travaux évalués. « C’était absolument immoral. Je vais accepter le fait que j’ai tiré profit de la situation.» 

Alex*, un étudiant ayant gradué en 2021, a fait part d’une situation similaire : « Pendant ma troisième année à McGill, un de mes amis a couché avec sa TA et a reçu des réponses pour les examens », a‑t-il raconté au Délit. « Il a même reçu une copie de l’évaluation finale et a simplement mémorisé les réponses avec ses amis.» Alex affirme être au fait de ces informations puisque le garçon en question et ses amis le lui ont « dit une semaine avant l’évaluation finale ». Celle-ci comptait pour 60% de la note du cours.

 « Pendant ma troisième année à McGill, un de mes amis a couché avec sa TA et a reçu des réponses pour les examens. Il a même reçu une copie de l’évaluation finale et a simplement mémorisé les réponses avec ses amis »

Alex*, étudiant ayant gradué de McGill en 2021

Des liaisons qui ne sont pas sans dangers

Bien sûr, la légalité ambigüe et la dynamique inégale des relations intimes entre assistants d’enseignements et étudiants impliquent plusieurs risques pour les deux partis, qu’ils soient de nature académique ou émotionnelle.

L’un des principaux risques, du point de vue de l’étudiant, est de tomber sur un prédateur, c’est-à-dire un TA qui profite de sa position d’autorité pour avoir des relations intimes avec plusieurs de ses étudiants. Peu de temps après avoir couché avec son TA, Holly a découvert que celui-ci avait eu des relations sexuelles avec une autre étudiante du même cours pendant l’entièreté du semestre. Elle admet que la découverte de cette nouvelle lui a causé de la détresse émotionnelle et lui a donné l’impression d’avoir été utilisée. Elle considère que le TA « a abusé de sa position de pouvoir » en ayant de telles relations pendant la session, étant donné qu’il était « une personne avec de l’autorité chargée de noter [le] travail [de l’autre étudiante] et de lui enseigner ». Pour cette raison, elle pense qu’il devrait être renvoyé. 

« C’est en raison de tous ces dangers potentiels – ainsi que des dangers légaux – que l’AÉÉDEM, qui se charge de représenter les assistants d’enseignement, considère simplement que toutes les relations TA-étudiant devraient être interdites, à quelques exceptions près »

Les risques liés à cette différence de pouvoir s’étendent aussi au-delà de la situation décrite. Il existe un potentiel que l’assistant d’enseignement utilise les notes de l’étudiant avec lequel il a des relations pour lui faire du chantage. Pendant l’enquête, Le Délit a entendu des rumeurs concernant ce genre de situation mais n’a pas pu recueillir de témoignage concret. À l’inverse, il est aussi possible que l’étudiant utilise sa position pour faire du chantage à son TA, en menaçant, par exemple, de dénoncer leur relation si ce dernier ne lui donne pas une bonne note. C’est en raison de tous ces dangers potentiels – ainsi que des dangers légaux – que l’AÉÉDEM, qui se charge de représenter les assistants d’enseignement, considère simplement que toutes les relations TA-étudiant devraient être interdites, à quelques exceptions près. 

Ce type de témoignage met aussi en lumière une possible défaillance de cette enquête : les personnes ayant choisi de contacter Le Délit sont nécessairement celles qui se sentent assez confortables pour parler de leur situation. Il est probable que les personnes ayant vécu les expériences les plus difficiles, voire traumatisantes, ne se soient pas senties en mesure de partager leur histoire. C’est en tout cas le cas de Jade*, étudiante ayant eu des relations sexuelles avec un TA, qui a dit ne pas vouloir parler de l’affaire parce que « c’est trop dur ». L’échantillon de l’article est donc voué à être biaisé.

En somme, toutes les relations entre étudiants et assistants d’enseignement ne sont pas nécessairement des innocentes histoires d’amour interdit. Certaines de ces relations peuvent même virer à la catastrophe. L’opinion publique est partagée à ce sujet. Certains pensent que de telles relations intimes sont trop dangereuses et doivent être interdites. D’autres pensent qu’elles sont tout à fait acceptables, au même titre que n’importe quelle autre relation. Il reviendra à chaque lecteur de former son opinion. Mais s’il y a une chose avec laquelle toutes les personnes passées en entrevue sont d’accord, c’est que si quelqu’un se retrouve dans de telles situations, qu’il soit étudiant ou TA, il est toujours conseillé de procéder avec précaution.


Dans la même édition