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Balarama Holness : quand la diversité fait la force

Un entretien avec le fondateur de l’organisme Montréal en Action.

Julie-Anne Poulin | Le Délit

Dans le cadre du Mois de l’Histoire des Noir·e·s, Le Délit s’est entretenu avec Balarama Holness, fondateur de l’organisme Montréal en Action qui a pour but de lutter contre le racisme systémique. M. Holness a poussé la mairie de Montréal à effectuer une consultation publique à ce sujet en 2019, ce qui a engendré la reconnaissance du racisme systémique par la mairesse de Montréal l’année suivante. Récemment diplômé en droit de l’Université McGill, ce récipiendaire de la Coupe Grey en 2010 est également un potentiel candidat aux élections municipales de novembre 2021. 

Le Délit (LD): Comment votre identité s’inscrit-elle dans le mouvement pour les droits des Noir·e·s ?

Balarama Holness (BH): Je suis métisse. Mon père est Jamaïcain, ma mère est Québécoise. Je reconnais d’une part que je me tiens sur les épaules de gens qui sont venus bien avant moi. De plus, ici au Québec, une province francophone qui a des enjeux d’identité, de sécurité économique et de sécurité culturelle, je me vois comme une voix importante parce que mon hybridité me permet de voir les deux côtés.

LD : Comment voyez-vous votre implication dans ce mouvement contemporain ? 

BH : Pendant des décennies, les membres des communautés racisées et culturelles ont essayé de faire avancer des enjeux relatifs aux droits des personnes racisées en lien avec l’emploi, la sécurité publique, la culture, l’accès à l’infrastructure sportive et récréative, etc. Nous avons vu peu d’avancements. Grâce à mon parcours juridique, j’ai découvert une clause dans la Charte montréalaise des droits et responsabilités qui dit que n’importe quel citoyen qui récolte 15 000 signatures peut exiger une consultation publique. Donc, au lieu de m’insérer dans un mouvement et de simplement suivre la foule, j’ai décidé de prendre ma propre trajectoire et d’aborder cet enjeu avec un angle plus juridique et démocratique. Ceci m’a permis de réaliser quels leviers de pouvoir je pouvais utiliser pour faire changer les choses en prenant des mesures concrètes. L’une d’elles a été de faire reconnaître le racisme systémique par la mairesse de Montréal le 15 juin 2020, à la suite de la consultation publique à ce sujet. 

LD : L’existence du racisme systémique est l’objet d’un débat. Pourquoi ? 

BH : Au Québec, la sécurité culturelle et linguistique est un enjeu. Au Canada, la langue française est tranquillement en train de s’effacer et la population québécoise, majoritairement blanche et francophone, change de plus en plus avec la croissance de l’immigration et le vieillissement des baby-boomers. Par conséquent, au fil des années, le nombre de baby-boomers diminue, ce qui leur fait craindre d’être remplacés par les minorités sur le marché du travail et d’être assimilés. 

Aussi, plusieurs pensent que le mot systémique veut dire que tout le monde au Québec est raciste. C’est faux. 

LD : Donc, vous dites que cette réticence vient du fait que la population générale est craintive ?

BH : Oui, je pense que c’est le point le plus important. La population québécoise sent que si on reconnaît le racisme systémique, les immigrants et les minorités visibles vont demander plus de droits qui vont conséquemment empiéter sur les leurs. Il est important de considérer le fait que les francophones au Québec sont en minorité au Canada. Je pense qu’ils craignent que, si le racisme systémique est reconnu, ça va accélérer leur chute démographique. Ils vont donc être doublement minoritaires, ce qu’ils et elles ne souhaitent pas.

LD : Que souhaitiez-vous atteindre comme objectif avec votre baccalauréat en droit ? Où se trouvent les plus gros défis dans le domaine juridique ?

BH : Dans un sens, je l’ai déjà fait ! Lors de mon premier semestre en droit à McGill, je lisais la Charte montréalaise, et je suis tombé au hasard sur le droit d’initiative. C’est ce droit d’initiative qui a permis de forcer la ville de Montréal à tenir une consultation publique qui a abouti en la reconnaissance du racisme systémique par la mairesse de Montréal. Des centaines de fonctionnaires de la ville ont travaillé sur ce projet. Plusieurs travaillent maintenant à l’implantation des recommandations qui ont résulté de la consultation publique. Il y a donc un travail énorme qui doit être fait, et plusieurs personnes doivent s’attarder à nos demandes. Il ne faut pas négliger les millions de dollars qui ont été investis dans ce projet. À mon avis, ceci est une victoire énorme d’un point de vue juridique. 

LD : Pensez-vous toujours vous présenter aux élections pour la mairie de Montréal en novembre 2021 ?

BH : J’y pense encore. Je n’ai toutefois pas encore pris de décision.

LD : Quel serait votre objectif à la mairie de Montréal ?

BH : Un de mes objectifs serait de faire en sorte que les gens soient excités de participer à notre démocratie. Au-delà de l’action de voter, qui est très importante, il y a beaucoup de façons dont les gens peuvent s’engager dans leur démocratie, comme faire avancer le dialogue public avec un article de journal, créer un organisme à but non lucratif, faire du bénévolat… Je pense que c’est la responsabilité de tout le monde, qu’ils soient citoyens, résidents permanents ou étudiants, de s’engager dans une démocratie comme celle du Canada, du Québec et de Montréal.

« Je n’ai toujours pas décidé si je me lançais ou non, mais je sais que si je me lance, mon objectif serait de relancer l’économie de manière juste et équitable et de rendre la population générale allumée par rapport à leur démocratie »

Balarama Holness

Je souhaite aussi une relance juste de l’économie qui aurait pour but d’éliminer les inégalités. Je voudrais faire en sorte que les personnes marginalisées et vulnérables soient incluses dans cette relance. Je souhaite notamment que tous aient accès à l’emploi, que le transport en commun soit adapté pour tous, incluant les personnes à mobilité réduite, et que la distribution des espaces verts soit plus équilibrée. Bref, je n’ai toujours pas décidé si je me lançais ou non, mais je sais que si je me lance, mon objectif serait de relancer l’économie de manière juste et équitable et de rendre la population générale allumée par rapport à leur démocratie. Voilà l’héritage que je voudrais laisser. 

LD : Qu’est-ce que Montréal en Action ?

BH : Montréal en Action est un organisme à but non lucratif qui utilise l’éducation et l’engagement citoyen pour avancer des changements concrets en société. L’éducation nous permet de sensibiliser les gens à différents enjeux, que ce soit des enjeux historiques, environnementaux, de droits autochtones, etc. Pour nous, c’est fondamental. Étant quelqu’un qui valorise énormément l’éducation, je trouvais cela essentiel de mettre cet engagement au centre de nos opérations. Nous utilisons des leviers juridiques et démocratiques pour faire avancer des enjeux qui nous tiennent à cœur. La consultation publique que nous avons menée en est un bon exemple. Nous travaillons actuellement sur l’implantation des recommandations qui en sont issues en coopération avec la ville de Montréal et des groupes communautaires, entre autres.

LD : Que ressentez-vous depuis la création de Montréal en Action en 2017 ?

BH : Évidemment, je suis très fier de la façon dont nous avons fait avancer la cause du racisme systémique à Montréal avec notre projet de la consultation publique et les recommandations qui en sont ressorties. Je suis particulièrement fier de mon équipe phénoménale. C’est une fierté pour moi de voir des membres de l’organisme qui n’avaient jamais parlé publiquement auparavant s’engager et faire avancer le dialogue public sur des plateformes importantes. 

LD : Avez-vous un mot de la fin pour les étudiants et étudiantes de McGill ?

BH : Je ne suis pas certain de me lancer pour la mairie de Montréal ni pour toute autre juridiction provinciale ou fédérale. Toutefois, si je me lance, je compte sur votre soutien, et j’espère que vous allez vous engager dans votre université et dans votre communauté. Je vous souhaite de vous engager pour que vous soyez vecteur de changement à votre façon. 


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