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Dans l’eau chaude pour ses opinions conservatrices

L’association étudiante des études religieuses demande à ce que les étudiant·e·s ne soient plus obligé·e·s de fréquenter les cours du professeur Farrow.

Vincent Copti | Le Délit

Dans une lettre ouverte publiée le 19 janvier sur les réseaux sociaux, l’Association étudiante des études religieuses (AÉÉR) s’est adressée à la Faculté d’études religieuses pour dénoncer les propos « troublants » du professeur Douglas Farrow. L’approche académique du Pr Farrow, qui enseigne la théologie à McGill depuis 1997, a fait de ses classes un environnement non sécuritaire pour les membres de la communauté LGBTQ+, affirme l’AÉÉR.

« Le Pr Farrow offre à ses étudiant·e·s une perspective très particulière à la fois sur la théologie chrétienne et sur la compréhension chrétienne du genre et de la sexualité, ce qui amène de nombreux élèves à se sentir victimisé·e·s par plusieurs de [ses] opinions » 

Lettre ouverte de l’AÉÉR

De plus, certaines procédures détaillées dans les plans de cours du Pr Farrow seraient en violation de la politique de McGill relative au prénom préféré (PFNP), avec laquelle Pr Farrow affirme être en désaccord.

Dans les commentaires de la publication Facebook, certain·e·s internautes ont corroboré le contenu de la lettre avec leur propre témoignage. «[Pr Farrow] enseigne ses opinions en les présentant comme “la vérité” et il présente une vision monolithique de la théologie chrétienne où l’on a soit “raison”, soit “tort”», affirme un étudiant. « Ses points de vue sur le genre, la sexualité, l’avortement et l’euthanasie sont tous présentés dans ce cadre. »  L’étudiant raconte que les cours du Pr Farrow sont les seuls dans lesquels il a ressenti le besoin de mentir dans ses essais et « écrire ce que [Pr Farrow] voulait lire »  afin d’avoir de bons résultats.

La lettre ouverte, cosignée par cinq associations (incluant l’Association étudiante de l’Université McGill [AÉUM] et l’Association étudiante de la Faculté des arts [AÉFA]), précise que trois des cours donnés par Pr Farrow sont nécessaires à l’obtention du baccalauréat en théologie. « Tout comme le Pr Farrow a le droit à la liberté d’expression »,  écrit l’AÉÉR, « les étudiant·e·s ont le droit à un environnement d’apprentissage sécuritaire et inclusif. »  En conséquence, l’AÉÉR demande que la Faculté d’études religieuses offre davantage de flexibilité aux étudiant·e·s et assigne des professeur·e·s supplémentaires aux cours obligatoires qui sont donnés exclusivement par le Pr Farrow.

Des propos « grossièrement déformés »

Contacté par Le Délit, le Pr Farrow a nié présenter à ses étudiant·e·s une vision limitée de la théologie chrétienne. 

« Chacune des personnes que nous lisons, de Paul à Jean-Paul [II], a une vision différente, tout comme j’ai bien sûr la mienne » 

Pr Farrow

Cependant, il a estimé « absurde »  le fait de penser que son travail ne se limiterait qu’à décrire les controverses, passées ou présentes, secouant le domaine de la théologie. Pr Farrow a par ailleurs affirmé que sa conception du genre et de la sexualité, bien qu’elle fasse l’objet de nombreux de ses écrits, n’est pas le propos de ses cours et n’apparaît que rarement dans son enseignement.

Une étudiante contactée par Le Délit témoigne aussi ne pas avoir entendu Pr Farrow exprimer ses positions vocalement dans la salle de classe, bien qu’un texte opposé au mariage homosexuel, à l’avortement et à l’euthanasie soit à l’étude. Selon elle, Pr Farrow enseigne effectivement une perspective homogène de la théologie chrétienne ; elle note cependant que c’est aussi son expérience avec les autres professeur·e·s de la Faculté d’études religieuses, seulement ces dernier·ère·s présentent au contraire une perspective très libérale.

En ce qui a trait à la demande de l’AÉÉR, Pr Farrow ne la juge pas justifiée ni réaliste considérant les ressources limitées de la Faculté d’études religieuses, qui ne compte que trois professeur·e·s titulaires. Accéder à des demandes de ce genre « éviscérerait dans les faits à la fois la rigueur et la liberté académique en transformant tous les postes d’enseignement en concours de popularité », affirme-t-il.

La lettre ouverte dénonce également certains des textes publiés par Pr Farrow, en particulier Nation of Bastards : Essays on the End of Marriage (Nation de bâtards : essais sur la fin du mariage, ndlr), exposé dans le hall d’entrée du pavillon Birks. Dans ce texte, le mariage homosexuel est décrit comme une « perte »  qui « fait de nous tous des bâtards »  et qui « marque une étape importante sur la voie de la tyrannie d’État ». Les positions du Pr Farrow sont détaillées dans plusieurs autres articles, certains contenant aussi de la rhétorique « qui exclut les étudiant·e·s transgenres et non conformes au genre », selon l’AÉÉR. Les auteur·rice·s de la lettre ouverte demandent à la Faculté d’études religieuses de retirer l’essai Nation of Bastards des vitrines du pavillon Birks : la situation actuelle suggère que ces opinions « discriminatoires »  sont ouvertement acceptées par l’administration, avancent-il·elle·s.

Selon le Pr Farrow, il est évident pour « quiconque ayant lu l’un des ouvrages en question, même avec un minimum de compréhension »  que ses propos ont été grossièrement déformés. Par exemple, la « perte »  amenée par le mariage homosexuel fait référence à « la compréhension juridique traditionnelle du mariage et, avec elle, l’intégrité du droit canadien. »  De façon similaire, l’essai Nation of Bastards, dont le titre est tiré d’une phrase de Rousseau, ne traiterait pas de l’homosexualité, mais plutôt de la façon dont la Loi C‑38 a altéré le statut juridique de tous·tes les Canadien·ne·s, explique-t-il.

« Je crains que l’Université ne devienne un « safe space » pour tout sauf la raison, la décence et la justice élémentaire », a terminé Pr Farrow. La lettre ouverte de l’AÉÉR, quant à elle, se clôt en implorant la Faculté d’études religieuses de prendre les mesures nécessaires pour soutenir les étudiant·e·s marginalisé·e·s.

« S’il est important de maintenir la liberté académique, les étudiant·e·s doivent avoir la liberté de se sentir en sécurité et bienvenu·e·s dans leurs classes »

Lettre ouverte de l’AÉÉR

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