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À l’ombre du marché culturel, un art de la distinction

Grégoire Collet | Le Délit

Plateforme d’expression, Le Délit a au cœur de sa mission la représentation et l’expression variée de formes d’arts et de cultures qui peuplent les bulles mcgilloise, montréalaise et québécoise. En tant que journal étudiant, Le Délit est un média alternatif, en ce sens qu’il s’imprime hors champ, en marge du contenu de masse. Cette semaine, la section Culture vous propose une édition spéciale sur la contre-culture, celle trop souvent oubliée.

La contre-culture se définit par rapport à la culture dominante dans le fait même qu’elle y est opposée. Elle remet en question les limites du normatif et de l’acceptable en inversant les valeurs sociétales majoritaires ou en proposant de nouvelles avenues de pensée. De par sa nature traditionnellement underground, c’est-à-dire subversive, secrète, voire invisible, il est parfois difficile de la découvrir, d’y accéder ou encore de la prédire. De ce fait, son cercle demeure assez fermé. La contre-culture, étant une culture de distinction, a ainsi besoin d’un courant dominant, non seulement pour se définir par rapport à celui-ci, mais de plus en plus pour se faire connaître. Si l’art subversif porte souvent en lui-même un message engagé, ses dénonciations et revendications finiront par se manifester d’autant plus ouvertement.

« L’art de rue et l’art mural sont de ces arts qui s’offrent d’eux-mêmes : ils peuplent les espaces et accompagnent ainsi le quotidien. Ils permettent une démocratisation de la culture, où il n’est plus nécessaire d’acheter un accès particulier : exister dans la ville devient une expérience artistique en soi »

L’art de rue et l’art mural sont de ces arts qui s’offrent d’eux-mêmes : ils peuplent les espaces et accompagnent ainsi le quotidien. Ils permettent une démocratisation de la culture, où il n’est plus nécessaire d’acheter un accès particulier : exister dans la ville devient une expérience artistique en soi. Pour la philosophe Hannah Arendt, qui affirme le lien étroit entre politique et culture, les deux « s’entr’appartiennent alors, parce que ce n’est pas le savoir ou la vérité qui est en jeu, mais plutôt le jugement et la décision, l’échange judicieux d’opinions portant sur la sphère de la vie publique et le monde commun ». Dans le cas de la contre-culture, cette façon alternative de voir le monde, cette propension à penser, à dire et à faire autrement invoque une vision radicalement constructive. L’art n’est pas en recherche de savoir ou de vérité. Comme la politique, il donne à voir ce que le monde pourrait être, en faisant apparaître un ordre second, autre et distinct.

Dans une vision alternative de l’art, l’idée de productivité est à même de détonner. Produire, vendre, marchander, termes pourtant bien au goût du jour, sont loin de faire l’unanimité. La contre-culture préconise la marge, préférant se terrer dans l’oubli plutôt que d’exister au sein d’un système imposé. Pour un mouvement artistique traditionnellement anti-institutionnel, s’incruster dans le marché culturel, vivre au sein de ce système, permet toutefois un lot de possibilités. Les subventions gouvernementales, les ventes d’œuvres ou encore les dividendes d’exposition peuvent être à la fois une manière de vivre plus aisément pour un artiste, ainsi défait du poids financier d’une vie forcément capitalisée – à cela, aucune alternative possible – tout en ouvrant les portes de nouvelles opportunités artistiques.

« La société aura toujours besoin d’un art échappant à la commercialisation et à la réglementation : c’est l’avant-garde libre et subversive, vectrice de nouveaux courants »

Même si l’art alternatif se fond éventuellement dans un art plus commercial, une forme de contre-culture continuera toujours d’exister puisque l’art ne peut être contenu à l’intérieur d’une institution, aussi hétéroclite soit-elle. La société aura toujours besoin d’un art échappant à la commercialisation et à la réglementation : c’est l’avant-garde libre et subversive, vectrice de nouveaux courants. Car, l’usurpation de la contre-culture par la culture de masse signifie que son excentricité initiale est enfin jugée acceptable. En d’autres mots, l’institutionnalisation de la contre-culture est signe que la société évolue, que le monde continue d’avancer et de fleurir sous de nouvelles formes. Toutefois, si l’institution est vue comme un filet capturant et permettant ces nouvelles formes, le mouvement subversif ne peut pas toujours se faire dans son cadre, puisqu’il doit, par sa nature, s’épanouir hors des normes sociales, administratives et parfois même légales. C’est pour cette raison, par exemple, que les graffitis et les « vandalismes engagés » coexistent encore avec les murales subventionnées. En ce sens, la lourdeur du système et son souci de cohésion ne rivalisent pas avec la spontanéité et l’audace de l’avant-garde. 


L’importance d’espaces alternatifs s’affirme donc, indéniablement. La contre-culture n’est pas au monde simplement pour offrir autre chose. Elle existe aussi pour réfléchir à cette culture dominante, la critiquer, oser la remettre en question. Un journal étudiant existe en marge des médias traditionnels ; la contre-culture se constitue en marge de la culture dominante. Bien qu’aucun ne puisse prétendre les substituer, l’intérêt du journal étudiant et de la contre-culture réside précisément dans cette altérité.


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