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Délier la poésie

Sélection de poèmes pour conclure la première édition du concours.

Marco-Antonio Hauwert Rueda | Le Délit

Le concours de poésie Délit et la poésie termine sa première édition en force avec près d’une vingtaine de soumissions de la part de ses participants et participantes. Nous tenons à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont pris part au concours. La réponse poétique de chacune et de chacun d’entre vous a dépassé nos attentes ! Merci énormément à tous et à toutes pour vos contributions ! Le jury délibérera dans les prochains jours afin de vous transmettre l’identité de la personne gagnante du concours, en espérant que la prochaine édition du concours soit un aussi grand succès que cette année. Donc, sans plus attendre, pour la dernière édition du Délit cette session, voici les poèmes retenus pour clore cette première édition du concours signées de la main de Laura Doyle Péan, Alexandre Bellemare, Marilou LeBel Dupuis, Ariane Labrèche et Madeline Tessier. À la session prochaine !

***

Laura Doyle Péan
Des siècles avant ma naissance

avril dernier
j’ai reçu une visite pendant la nuit

je ne savais de qui ni pourquoi
l’être n’a pas laissé sa carte
et j’ai la mémoire courte


je me suis réveillé·e en pleurs
le souffle court
ai eu une pensée pour grand-mère
qui se battait alors encore pour le sien

étrange sentiment de déjà-vu
mes rêves sont des films en reprise à TVA
je n’ai plus fermé l’œil


le visiteur n’a pas laissé d’instructions
rien qu’une boule d’angoisse existentielle
matière brute poétique

ici n’est pas mon appartement
ici n’est pas mon lit
je ne suis que de passage
vous m’avez prise pour la mauvaise personne


je jalouse souvent la foi de mes sœurs
l’assurance de ceux qui savent
retracer leur lignée
dessiner ses branches millénaires

je ne connais pas mes ancêtres
je ne connais pas ma langue
je n’appartiens à aucune terre

j’ai été déraciné·e des siècles avant ma naissance
arraché·e de chez moi
connu vents connu marées
enfoui mes secrets dans les profondeurs de l’océan
aux côtés des trésors qu’ils nous ont volés

je me suis rebellé·e des siècles avant ma naissance
armes aux mains sous le soleil des Antilles
j’ai rallié mes sœurs mes frères mes cousin·e·s
affirmé comme Christophe
Je ne vous livrerai la ville
que lorsqu’elle sera en cendre
sur ces mêmes cendres
je combattrai
encore
et j’ai survécu
vaincu l’armée du petit homme
déclaré mon indépendance
sur cette terre que j’ai fait mienne
des siècles avant ma naissance


J’ai fui des années avant ma naissance

et je fuis encore aujourd’hui

repêcher cette sagesse
quelque part au creux de mes reins
sous mes ongles peut-être
dans les battements de mon cœur

suffit-il de prendre le temps
d’y penser bien fort

je ne me souviens que des sueurs froides
de l’ombre des arbres
du vent

je ne me souviens que du désir de fuir
de tout rebâtir ailleurs
d’une vie meilleure

je ne me souviens que du désir de retourner à la maison
d’appartenir à une terre
d’en prendre soin

je ne me souviens que du désir de dire
C’est assez.

j’aurais aimé que le visiteur m’apporte la bravoure de mes ancêtres
me rappelle ce que c’est d’appartenir

je m’en veux de lui en vouloir
peut-être m’a-t-il dit tout ça
j’ai la mémoire courte

***

Alexandre Bellemare

J’en mets ici, puisque je peux pas en mettre ailleurs, & ta chute reste une chute même dos à nous-même, & tes agressions qui pleurnichent sans cesse m’ont coupé l’herbe en dessous des pieds du cœur, à partir du moment où tes corneilles se sont ankylosées et lui ont gratté la plaie jusqu’à saignement de silence désormais fleuve, un tas de paysage à jeter à la poubelle, & quand je contourne tes mots durs, j’y trouve de quoi abriter mes décès antérieurs, & dis-toi que je meurs trop souvent par le feu dernièrement, oui, la nature de cette lumière qu’est le feu & moi, où la chandelle brûle l’appartement du revers de son feu, où ma table de cuisine flambe, sous peu, dans les mots brûlants, & autour de la table s’asperge tranquille à mi-chemin de mon plancher en reste : le chemin. Celui où repose la table & certes juste est ce passage obligé vers mes natures mortes de cachette pudique. Embaume celle qui date de hier, comme pour chauffer le dehors de mon intérieur, que s’enivre mon passé, kyste d’idée confuse, quand tout brûle, j’éternise le moment, assume le fantasme pour le rendre réel, engendrée par une suite de synchronicité passé/présent. Les frondaisons alarmistes du corps s’émondent, sans guérir ce qui pleure par la poésie puisqu’en dessous d’improbables armures, je reste fictif dans le vivre d’aujourd’hui, pour des raisons étrangères à la logique du cœur achevé sans pitié & sans pour autant que perdure le contexte de nos villes respectives ; le palindrome ressassé. J’ai préféré tout brûler.

***

Marilou LeBel Dupuis

Résilience nom féminin mot de neuf lettres dix pardon mot que t’entends dans un bureau un salon après les confidences les catastrophes mot prononcé en réconfort et qui traduit I acknowledge what happened to you was shitty I’m glad you made it through mot que seulement certaines crowds utilisent la tienne une communauté de gens scarifiés par des traumas qui prennent des figures d’hommes de vautours aux masques d’humanité mot compensatoire mot mantra répété répété répété pour s’assurer que tu connaisses ta force que tu câlices pas toute là mais ultimement c’est plus fort que toi tu penses toujours à des bas résille quand tu l’entends.

***

Ariane Labrèche

La peur est accroupie
Sur les branches des sapins
Siffle dans les asclépiades
Je ne connais pas son nom

Sais-tu ce qu’il en coûte
De pousser entre des craques de béton
Une canopée de franchises
Le néon pour seules vitamines
Un #4 en trio pour emporter

C’est moi qui avale la bourrasque
L’ouragan des roues sur Taschereau
J’envie la luciole j’aimerais
Moi aussi brûler sur les phares des voitures

Les arbres n’ont pas de nom ils ne sont
Que des arbres
J’ai mis la forêt dans des pots
L’asphalte est mon mycélium

***

Madeline Tessier
Chers masculins

le soir…

votre fureur
pleuvait sur nos têtes

dehors
gisaient mes lèvres
façonnées en hématome

j’étais vide
j’étais pleine
j’étais ma mère, ma sœur
j’étais la fluidité
du sang qui coule

entre mes veines éclatées
des larmes sans nom


mais…

j’ai ouvert les yeux
regardé à l’intérieur

j’ai vu les ronces
glisser sur ma gorge
poreuse
la voix noyée dans la bile
les cris avalés

j’ai tendu les mains
senti vos visages
assoiffés
vos langues, vos bras en flèches
pointés sur moi

les yeux ouverts
j’ai mémorisé vos gestes
pour que rampe sur vos cous
la moiteur de ma vengeance


puis…

j’ai sculpté ma chair
dans le marbre froid

à l’image des déesses

j’ai recousu l’acier
sur ma peau


enfin…

sur une toile neuve
je récolte mes songes
rêve de roses
qui murmurent mon nom

je vis de la brise
repose sur des nuages
de soie
ma peau blanchie
pour respirer

je suis loin
de vos mots acides
des morsures
qu’infligent vos blâmes

seule
je fonds dans la douceur
le temps d’un regard


finalement…

vous lirez mes mots
lorsque je serai partie
lorsque je basculerai d’un côté
peu importe lequel
vieille de cœur ou de peau

vous lirez mes mots
les invoquerez dans vos prières

vous me ferez sainte
espérant l’envol de vos fautes
en rêve inutile

et
à l’ombre du tournant
je vaincrai


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