Aller au contenu

Délit et la poésie

Quelques poèmes de la première édition du concours de poésie du Délit.

Marco-Antonio Hauwert Rueda | Le Délit

Dans le cadre du concours de poésie Délit et la poésie, en partenariat avec la librairie Zone Libre, l’équipe du Délit est particulièrement fière de vous présenter les trois poèmes retenus cette semaine sur le thème de la résilience. Les autrices et l’auteur publié·e·s cette semaine sont, sans plus attendre, Rachel Lamoureux, Maya Gauvreau et Éliot Forget ! 

***

Rachel Lamoureux
Douceur atavique dans l’œil

les lunettes noires, pour faire jolie et énigmatique, la vision
qui ne porte pas au loin, qui s’embrouille, pas de lignes entre les objets
sans limites, un monde de masses concomitantes faisant pression les unes
sur les autres, entassées, pesantes, des choses à nommer, à perdre, à oublier
pas de sens, de centre, de thème, de problématique, juste
la fatigue d’être et de dire, l’envie de s’élever, échouer, ne pas
savoir par où commencer, choisir un point dans l’horizon, en faire le centre,
la focale, une photo pour plus tard, un souvenir pour hier, une note pour laisser
des traces d’un chemin qui repasse sur lui-même, qui s’entortille autour d’un fil
rouge qu’il faudra couper ou enrouler autour de son cou, les lunettes noires pour
cacher ses larmes, pour faire profond pour faire grave, et ces lignes qui demeurent
s’enfoncent toute une vie sur le nez, le poids de la légèreté sur les plis d’un visage
qui tombe en pièces, les paupières d’en bas qui s’affaissent et les lignes d’un sourire
qui se creusent, à trop s’exprimer, rire d’un rien de tout, la vie s’use,
en est-il de même de la parole, on
se fait donner une peau et un langage, on les manie comme on peut,
ça fatigue,

______________________ça fatigue, _

______________________________________________ça parle

_ ___________de quoi ?

***

Maya Gauvreau
Être-pièce

J’ai l’impression
Que l’attente fait du bien
Mes membres se détachent
Vont se cacher
Dans les recoins de la lenteur
La solitude
Porte mon corps
Jusqu’au lac qui dégèle
Entre deux vides
Je suis couchée sur le brouillard

Par moments
Cette brume se dissipe
Et délicatement me dépose
Sur le plancher de ma chambre
Alors
Tous mes membres
Humectés par le souvenir
De cette bruine élévatrice
Se retrouvent assoiffés

Ma peau sèche
Longe les murs
Arrache le plafond
Mes doigts saignent
À force de grafigner le sol
Mes fenêtres
Imperturbables
Témoins de la crise
Créent une embrasure,
Face à mon saccage
Elles m’offrent le Dehors

Du haut de mon 2e étage
De ma rue passante
De mes trottoirs vides
De ma façade de brique

Si je ne peux sortir
Je deviens édifice

Et je ressens
Dans mes pores-mortier
Le silence
Du Dehors

Je souhaiterais
Être daltonienne
Ne voir
Que des nuances de blanc
De noir
De gris

De rouge
Je me sentirais mieux
Si la vue que la vitre m’offrait
Était à l’image de ma chambre
Ravagée.

C’est dans ces instants,
Bouillonnements incontrôlés,
Que je m’allonge
Sur mon plancher détruit
Que je ferme les yeux
Jusqu’au lendemain.

***

Éliot Forget
À partir de demain

11 aout*
à partir de demain
plus de repas silencieux
où les visages décollés
tombent avec un grand splash
dans la sauce à spag
les taches sur la nappe
deviendront des continents
à la dérive
qui feront naufrage
au lave-vaisselle

14 aout*
à partir de demain
d’un instant à l’autre
il y a moi
qui s’entend commencer
à exister
qui déboule
dans la trame narrative
d’un été raconté
par la pluie sur les feuilles de peuplier
placé tout juste avant
l’élément déclencheur

18 aout*
à partir de demain
la forêt qui se construit à l’aube
en amoncellements de bruits
de feuilles sèches qui froissent
de brindilles qui craquent
de tracés agiles d’écureuils
qui se répondent en échos
viendra baignée de naissance
la lisière du monde connu
viendra nouée en baluchon
les quatre coins d’horizon fripé
pour le grand voyage
d’une vallée de résilience et d’eau
veinée de ruisseau
pour la marche organique
d’un instant à l’orée du temps
où brame la puissance d’un matin

19 aout*
à partir de demain
tu seras resté quelque part
au pied des amélanchiers
à bout de regard de prairie et de baies
je te regarderai au coin de moi
naitre au fond du froid
sous un hiver exténué
je te regarderai naitre par les yeux
comme une partie complète
de tout ce qui te reste

20 aout*
à partir de demain
au réveil boréal
nos ferrailles d’oubli et de sous-bois
cent ans d’hiver à froid
sur nos sommeils raqués
on se lève
en étincelle
debout
dos à dos
neuf pas
on tire

25 aout*
à partir de demain
le bord de route
sera mon lieu de naissance
et je recoudrai
mon existence empaillée
avec de longs points de suture
point tillée
d’asphalte
point final

27 aout*
à partir de demain
je me perdrai sur la terre
je ne saurai plus quoi faire
ici
à la fine pointe de la technologie
je feuillète des lieux
plis l’horizon
pour ne pas perdre la page

14 septembre
à partir de demain
à l’ambre tombé
il y aura l’heure des fenêtres ouvertes
des ombres qui s’enroulent
à l’air assoupi
du miel doré de l’après-midi

***

Vous avez jusqu’au 27 novembre pour participer au concours. Pour tous les détails, rendez-vous sur l’évènement Facebook. De nombreux recueils de poésie sont à gagner !


Dans la même édition