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Les Rose : un retour intime sur l’histoire

Félix Rose part sur les traces de son père Paul Rose et du FLQ.

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Le 14 août au soir, alors que la Gaspésie se vidait de ses derniers touristes, quelques curieux persistants s’entassaient au Ciné-Parc Paradiso à Petit Pabos. C’était pour y voir Les Rose, film d’ouverture des Percéides, le Festival international de cinéma et d’art de Percé. Six jours plus tard, ce film remportait le prix du « Meilleur documentaire canadien » du festival. 

En voyant l’affiche, j’ai soupiré. « Voilà encore Octobre ! », me suis-je dit. Force est d’admettre que j’ai eu tort tant ce 2h08 de visionnement m’a fait ravaler mon soupir avant de me couper le souffle. Alors que la cinématographie entourant les événements d’octobre 1970 est traditionnellement empreinte de militantisme et de dénonciation, le réalisateur Félix Rose nous offre ici une vision intime de ce qu’a été la vie de son père, Paul Rose, le célèbre membre de la cellule Chénier. 

Sans toutefois être trop niché, le film reste assez dense au niveau historique. Un bref détour par Wikipédia est donc recommandé à qui en connaît peu sur le sujet. Bien que Félix Rose cerne de manière assez personnelle l’histoire de son père, il ne manque pas de brosser très habilement un portrait plus global de cette époque chargée de révoltes et de bouleversements sociaux qu’ont été les années 1950 à 1980 au Québec.

Un tour de force

Sans contredit, ce film de Félix Rose est un tour de force. Il s’agit d’un récit extrêmement personnel qui raconte l’histoire d’une société. Les frères Rose étant issu de la classe ouvrière, leur vécu est celui de la masse. Par exemple, les souvenirs d’enfance de Paul et Jacques Rose rapportés dans le film sont intrinsèquement liés aux conditions de travail des Canadiens français. Ensuite, la famille Rose s’est établie à Jacques-Cartier, aujourd’hui annexée à Longueuil, qui était à l’époque un véritable bidonville dans lequel de nombreux felquistes, notamment Pierre Vallières, ont grandi. Ainsi, leur jeunesse étant emblématique et à l’image de celle de leur classe sociale, raconter l’histoire de l’un d’entre eux mène inévitablement à raconter l’histoire du prolétariat canadien-français au Québec.

De plus, le film ne se limite pas à la pointe visible de l’histoire des Rose. Il raconte ce qui a précédé Octobre : le travail ouvrier sous le patronat anglophone, les discriminations à l’égard des Canadiens français, le Lundi de la matraque, les luttes idéologiques et la vague de décolonisation qui a caractérisé les années 1960–1970. 

Puis, il raconte ce qui a suivi la crise : la chasse à l’homme en plein hiver, les procès houleux des membres de la cellule Chénier, la présence active du Front de libération des femmes du Québec (FLFQ), les années de prison de Paul Rose et son implication dans les groupes syndicaux à la suite de sa libération.

Répit pour le militantisme

Parler du FLQ et de la crise d’Octobre est un pari risqué aujourd’hui tant la liste d’œuvres s’y attardant ne cesse de s’allonger d’année en année. Alors, comment se distinguer des précédentes tout en restant dans le corpus ? Félix Rose a donné réponse à cette question : il faut réaliser Les Rose.

Une des plus grandes forces de ce film réside dans le fait qu’il ne tend pas à justifier ou à légitimer, mais bien à expliquer. Dans l’historiographie cinématographique portant sur la crise d’Octobre, cette méthode n’est pas coutume. Dans la majorité des œuvres, je dirais qu’il s’est traditionnellement agi d’un travail de réhabilitation historique, au sens de « réhabilitation sociale » et de « réinsertion historique ». 

Dans le film Octobre (1994) de Pierre Falardeau, par exemple, l’on suit les felquistes de la cellule Chénier au cœur de la crise, soit de l’enlèvement du ministre Pierre Laporte jusqu’à la mort de ce dernier. Basé sur l’essai Pour en finir avec Octobre (1993) de Francis Simard, ce film se veut militant et engageant. Il a la particularité de vouloir rendre justice aux événements en rétablissant les faits. Ceci étant dit, cette réécriture des faits se limite à la période qui s’échelonne du 9 au 17 octobre, faisant ainsi fi de ce qui a mené à la crise et de ce qui en a découlé.

En contrepartie, dans le film Les Ordres (1974) de Michel Brault, l’on voit plutôt l’impact de la crise d’Octobre sur le reste de la société québécoise et particulièrement sur les arrestations de masse ayant eu lieu. Ce film tente également de légitimer le mouvement, mais s’y prend plutôt en dénonçant les abus commis par les autorités canadiennes durant la crise. En le citant en ouverture de film, Brault illustre notamment l’hypocrisie de Pierre Elliott Trudeau qui, sous le couvert de la loi martiale, a rendu légitimes des centaines d’arrestations qui n’auraient pas dû l’être. 

La réhabilitation historique mentionnée ci-haut apparaît clairement dans ces deux films phares : le premier vient pour rétablir les faits et le second pour les dénoncer. Dans Les Rose, ce penchant « militantiste » qu’ont traditionnellement les films de ce corpus est habilement évité. Le réalisateur ne veut ici ni rétablir ni dénoncer l’histoire ; il ne cherche qu’à la raconter.

Une intimité historique

Alors que Les Ordres et Octobre s’attardent respectivement à dépeindre un portrait global et un gros plan de la crise d’Octobre, Les Rose parvient à conjuguer ces deux visions avec un naturel frappant. Bien que le documentaire place son point de mire sur les frères Rose, il ne manque pas d’exprimer avec justesse le sentiment et le vécu d’une époque. 

C’est entre autres en employant des témoignages très personnels — pensons ici aux bandes sonores enregistrées clandestinement en prison par Paul Rose — et en les juxtaposant à des archives nationales — les bulletins de nouvelles de Radio-Canada, par exemple — que le réalisateur parvient à dépasser la simple énumération de faits. Le contraste entre intime et public vient alors mettre en lumière les liens qui les unissent.

Autrement dit, ce film ratisse large et bien, tout en jouant sur les contrastes entre la vie privée et le récit national. Loin de sentir l’indépendantisme à plein nez, le documentaire s’attarde plutôt à raconter, sans rhétorique de mauvaise foi, un homme et son époque. On n’y découvre pas le héros glorieux des uns ou le meurtrier macabre des autres ; on y découvre plutôt un homme. Simplement.


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