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Faire parler le silence

Dans « 14 jours 12 nuits », Jean-Philippe Duval explore la complexité du lien mère-enfant.

Capture d'écran

14 jours 12 nuits, long-métrage mettant en vedette Anne Dorval, Leanna Chea et François Papineau, fait ces jours-ci son retour au cinéma, la pandémie de COVID-19 ayant interrompu son périple en salles après sa sortie à la fin février. Cette seconde chance d’aller voir le film est une occasion à saisir, puisque cette œuvre poignante se révèle être un véritable bijou.

Isabelle (Anne Dorval) a adopté une fille au Vietnam au début des années 1990. Or, à l’orée de sa vie adulte, cette dernière meurt brusquement dans un grave accident. Espérant ainsi mieux guérir sa peine, la mère adoptive s’envole pour le Vietnam afin de renouer avec la culture et les origines de la disparue. Elle retourne à l’orphelinat, et de fil en aiguille, réussit à entrer en contact avec la mère biologique, une guide touristique de Hanoï, avec laquelle elle passera l’essentiel du reste de son séjour. Entre ville et campagne, un lien de confiance et de complicité se tisse entre les deux femmes, mais Isabelle demeure longtemps incapable de lui annoncer la terrible nouvelle.

L’esthétique est très épurée. Le scénario écrit par Marie Vien (qui le dédie d’ailleurs à ses deux enfants adoptés) prend place autour de peu d’actions et de personnages (essentiellement les deux mères). Cela laisse cependant toute la place à l’intensité émotive et au travail psychologique des deux protagonistes, à travers leurs démons intérieurs. Les détails de la trame se dévoilent tranquillement par de subtils retours en arrière, ainsi que par des parallèles Vietnam/Québec qui ouvrent la porte sur les pensées des personnages. Une image récurrente est celle de la mer, qui à elle seule peut tout apaiser, mais aussi tout emporter lorsqu’elle se déchaîne, en écho à la tempête intérieure des deux mères.

Les textes aussi sont assez minimaux. Ce sont plutôt les lourds silences et les regards à la fois complices et troublés qui en disent le plus. Nous ne sommes pas si loin d’une esthétique toute en finesse qui se retrouve dans plusieurs arts asiatiques (et prenons bien garde puisqu’il y a non seulement plusieurs arts mais surtout plusieurs Asies…), comme la peinture ou la poésie. C’est un style à fleur de peau qui soupèse le vide et célèbre l’évanescent, dans lequel ce n’est pas tant l’action ni le résultat qui comptent, mais le geste et le ressenti. D’ailleurs, aux paysages vietnamiens luxuriants se superposent les paysages intérieurs peints par la musique, qui par moments effleure autant qu’elle prend au ventre.

Ce qu’on en retiendra surtout, finalement, c’est cette peinture du lien mère-enfant. On ne prend pas un enfant à une mère, on le lui arrache tel un membre, comme l’exprime puissamment l’œuvre. Cela vaut autant pour celle qui a été forcée d’abandonner sa fille à l’orphelinat que pour celle qui l’a vue grandir puis mourir abruptement, et c’est dans ce drame qu’elles se rejoignent et se touchent mutuellement. Les peintures de la mère vietnamienne, enfin, sont porteuses d’un symbolisme évocateur : des visages d’enfants tantôt sans yeux, tantôt sans bouche…un sentiment d’incarnation et d’effacement à la fois, comme pour rappeler ce manque criant.


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