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McGill devrait-elle diminuer ses frais de scolarité ?

Les demandes des étudiant·e·s et les déclarations de l’Université diffèrent.

Marco-Antonio Hauwert Rueda | Le Délit

C’est maintenant officiel, le semestre d’Automne 2020 à l’Université McGill sera
essentiellement tenu en ligne. Les étudiant·e·s pourront désormais assister aux cours et faire
leurs examens depuis n’importe quel endroit au monde, que ce soit dans une résidence
universitaire à Montréal ou à la maison avec sa chère famille à Berlin, et cela… en payant les
mêmes frais de scolarité qu’à l’habitude ? En effet, l’Université a annoncé que les frais de
scolarité ne seront pas diminués pour l’année scolaire 2020–2021. Suite à cette annonce, des
milliers d’internautes ont exprimé leur révolte sur les réseaux sociaux, des sites internet et
même sur des chaînes de télévision nationales. La question doit donc se poser sérieusement :
McGill devrait-elle réduire ses frais de scolarité le semestre prochain ?

« Nous n’avons pas payé pour des cours en ligne »

Les arguments en faveur d’une réduction des frais sont bien connus des étudiant·e·s
concerné·e·s. De nombreux·ses étudiant·e·s ont tout simplement le sentiment que l’expérience
universitaire perd une grande partie de sa valeur si les cours sont tenus à distance. « Je ne
sais pas vous, exprime une étudiante anonyme, mais personnellement je ne suis pas en train
d’étudier pour avoir mon nom sur un papier. Je suis venue à McGill pour les connaissances et
le contact avec des professeurs brillants et des étudiants inspirants. Clairement on n’aura rien
de cela à distance. » De nombreux·ses étudiant·e·s craignent en effet de perdre l’aspect social
de l’éducation universitaire, considéré comme essentiel à la formation de l’individu·e en tant
qu’humain·e.

Par ailleurs, la qualité des cours qui seront délivrés en ligne est elle-même remise en
question. « Malheureusement, affirme une internaute sur Facebook suivant actuellement des
cours pour la session d’Été 2020, je suis en train de payer la totalité des frais de scolarité pour
2 x 10 minutes de cours vidéo par semaine (alors que c’est supposé être 12 heures de cours
par semaine) sans aucune explication des concepts. Donc, en gros, on me donne 15 heures de
lectures à faire sans aucun moyen pour que je puisse comprendre ces lectures, car je n’ai pas
vraiment de “cours”. » Le fait qu’il est beaucoup plus difficile de se concentrer pendant les
cours en ligne est aussi souvent mentionné. Certain·e·s trouvent que l’attitude d’apprentissage
adoptée dans les cours en ligne est plus passive et que l’étudiant·e est donc beaucoup moins
engagé·e dans ses cours et retient moins d’informations.

Marco-Antonio Hauwert Rueda

La situation est d’autant plus extrême pour les étudiant·e·s internationaux·ales qui
pourraient potentiellement assister à des cours à des heures folles à cause de la différence
horaire. Et ce, tout en payant des frais de scolarité bien supérieurs à ceux des étudiant·e·s
québécois·ses et canadien·ne·s. Les frais de scolarité pour la Faculté des arts, par exemple, qui
représentent moins de 5000 $ pour les Québécois·es, seront de plus de 21 000 $ par an pour
les étudiant·e·s internationaux·ales l’année prochaine. L’augmentation annuelle des frais pour
ces dernier·ère·s (7,7 % en 2019–2020) est d’ailleurs beaucoup plus importante que celle des
autres étudiant·e·s (2,3 % en 2019–2020). Alors que l’augmentation annuelle des frais pour les
Québécois·es et Canadien·ne·s s’adapte aux taux d’inflation des économies québécoise et
canadienne, celle des internationaux·ales est dérégulée, ce qui veut dire qu’elle ne suit pas de
directives gouvernementales et peut donc être modelée par l’Université elle-même. De plus,
contrairement aux étudiant·e·s canadien·ne·s, les étudiant·e·s de l’étranger n’ont pas la
possibilité de réduire la quantité de cours qu’ils suivent, leur visa requérant qu’il·elle·s suivent au moins quatre cours (soit 12 crédits) par semestre. Les internationaux·ales se voient donc
happé·e·s dans cette situation sans possibilité d’en sortir.

C’est donc surtout la qualité de l’enseignement mcgillois, la qualité de la vie étudiante et
la situation des étudiant·e·s internationaux·ales (qui dans certains cas ne pourront même pas
être sur le même continent que McGill) qui justifieraient une baisse des frais de scolarité. Mais
face à ces plaintes se dresse une réalité économique qui peut s’avérer décevante.

Contraintes budgétaires incontournables

En effet, nombreux sont ceux·celles qui expliquent sur les réseaux qu’on « ne paie pas
pour le style d’éducation, on paie pour les crédits. On paie pour le nom de McGill. » Même si
cette explication peut paraître un peu frivole, la réalité économique sous-jacente mérite d’être
examinée.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les frais de scolarité représentent autour de 39 % des
revenus de l’Université (chiffres de 2018–2019), et aucune institution — que ce soit une
université, une entreprise, ou même un État, sauf en empruntant massivement — ne peut se
permettre de renoncer à 40 % de ses revenus. McGill n’est d’ailleurs pas exactement dans une
situation économique exceptionnelle, sa dette s’accumulant année après année. Son
budget 2019–2020 court un déficit de quelque 8,7 millions de dollars, et ce, sans compter le
déficit accumulé dans le passé.

Si encore ses dépenses diminuaient de 40 %, alors McGill pourrait se permettre
d’éliminer (ou de diminuer) ses frais de scolarité, mais le futur numérique semble justement
présager une tendance inverse. D’un côté, les dépenses de l’Université ne semblent pas
pouvoir diminuer. En effet, la tenue des cours en ligne ne fera pas diminuer le nombre
d’enseignant·e·s et d’assistant·e·s enseignant·e·s. Ceux·celles-ci coûteront autant que
d’habitude à l’Université (ou même plus si le nombre d’étudiant·e·s inscrit·e·s continue
d’augmenter). De plus, il est possible que la mise en place d’une (éventuelle) plateforme en
ligne d’enseignement, ainsi qu’une formation des professeur·e·s en matière d’enseignement
numérique (nécessaire vu le manque d’aise de certain·e·s avec les nouvelles technologies…),
produisent des coûts additionnels.

En plus d’une potentielle augmentation des coûts, les revenus de McGill semblent aussi
être compromis le semestre prochain. Toutes les recettes liées aux services mcgillois — vente
d’habits et de matériel à la librairie Le James, revenus des cafés universitaires — risquent de
s’effondrer si une partie du corps étudiant n’est pas à Montréal le semestre prochain. De plus, si la transition au numérique et la pandémie de coronavirus découragent certain·e·s étudiant·e·s internationaux·ales d’aller étudier à McGill, alors les revenus de l’Université seront réellement en danger.

Une diminution des frais de scolarité n’est donc pas envisageable économiquement du
point de vue du budget de McGill.

Peut-on trouver un juste milieu ?

Si les comptes de l’Université McGill sont en effet en difficulté, cela n’efface tout de
même pas la réalité économique d’innombrables étudiant·e·s à cause des effets dévastateurs
du coronavirus. Le taux de chômage augmente exponentiellement : alors qu’il était de 5,6 % en
février au Canada, le chômage a atteint 7,8 % en mars et 13 % en avril (et il serait de 17,8 % si
nous ne comptions pas les mesures d’urgence prises). L’économie canadienne est d’ailleurs
récemment officiellement entrée en récession. La situation semble encore plus préoccupante
aux États-Unis (d’où viennent de nombreux·euses étudiant·e·s mcgillois·es). Il est donc à
prévoir qu’énormément d’étudiant·e·s ne pourront pas se permettre les frais de scolarité
habituels de l’Université. Alors, que devrait faire McGill ?

Marco-Antonio Hauwert Rueda

Si une diminution des frais de scolarité semble impossible, l’Université se doit quand
même de trouver des alternatives.

Tout d’abord, l’Université devrait multiplier les bourses d’études pour les étudiant·e·s en
difficulté. Ceci lui permettrait de maintenir les revenus générés par les élèves qui peuvent
toujours se permettre les frais de scolarité habituels, tout en s’assurant que les plus démuni·e·s
ne soient pas défavorisé·e·s. Certes, l’augmentation des bourses coûte cher à l’Université dans
des temps où les revenus se font rares. Il faudrait certainement que les gouvernements
(provincial et fédéral) et les donateur·rice·s se montrent particulièrement généreux·euses. Mais,
même si l’argent manque, McGill se doit d’assurer un accès équitable à son éducation si elle
veut continuer à se prétendre une leader nationale et internationale. Aucun·e étudiant·e ne
devrait devoir renoncer à McGill pour des raisons uniquement économiques. La dette, dans ces
temps, est un prix qui se doit d’être payé par l’Université.

De plus, l’Université pourrait éliminer plusieurs frais qui n’auraient aucun sens pour ces
étudiant·e·s qui ne seront même pas à Montréal. Il est difficile de voir pourquoi un·e étudiant·e
international·e restant à Berlin devrait payer des frais d’installations sportives (aux alentours de
150 $ dollars) ou l’assurance santé internationale (plus de 1 150 $), par exemple.

Désormais, les dommages liés à l’épidémie de coronavirus s’avèrent inévitables, et la
responsabilité reviendra à l’Université de faire en sorte que ces dommages ne soient pas
endurés par les élèves qui sont déjà dans une position fragile. Ce n’est qu’à travers des
réductions de frais ciblées, notamment pour les étudiant·e·s les plus démuni·e·s, que McGill
pourra continuer à assurer une éducation juste et équitable sans compromettre son futur. Il y a
certainement une grande partie de vérité dans la revendication : « nous n’avons pas payé pour
des cours en ligne ; cela est injuste ». Mais nous vivons dans des temps exceptionnels, et des
concessions devront être faites par tout le monde, que ce soit par l’Université, les
gouvernements, les enseignant·e·s ou les étudiant·e·s. Finalement, même si la consolation qui
suit peut paraître futile, soit-il mentionné que toutes ces mesures, aussi ennuyantes
soient-elles, ne seront que temporaires.


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