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Hirondelles de liberté

Les Hirondelles de Kaboul est sorti en salle la semaine dernière au Québec.

Maison 4: 3

Kaboul, 1998. Une dizaine d’années après la fin de la guerre opposant le régime communiste afghan aux Moudjahidines (1979–1989), le pays reste déchiré par des luttes armées en son sein, tandis que les Talibans contrôlent la capitale. Le mouvement fondamentaliste impose un régime de vie très strict à ses habitants, gouverné par la charia (la loi islamique). Dans cette ville en ruines, il n’est plus possible d’aller au théâtre ou au cinéma, les femmes sont obligées de porter le vêtement traditionnel (le tchadri) et ne peuvent plus sortir sans l’accompagnement de leur mari. Malgré la misère quotidienne, Mohsen et Zunaira veulent croire en l’amour et en leur futur. Mais un accident fera basculer leur vie, entraînant la jeune femme en prison. Elle y rencontre Atiq, son geôlier chargé de l’accompagner jusqu’à sa mise à mort. Mais l’innocence et la jeunesse de Zunaira bouleversent le vieil homme, qui tentera alors de l’aider à s’envoler…

Poésie aérienne

Bien que le thème du roman de Yasmina Khadra soit très sombre, son adaptation en film d’animation par Zabou Breitman (scénario) et Elea Gobbé-Mévellec (conception graphique) est synonyme de poésie. Le paysage joue des métaphores pour représenter la liberté, comme les femmes en tchadri transformées en hirondelles et prenant leur envol. Les dessins sont réalisés en animation traditionnelle, avec un décor fixe et des calques apportant le mouvement, ce qui a pour effet d’épurer le rendu. Semblables à l’aquarelle, les couleurs sont décidément plus douces que le sang qu’elles omettent. De même, la lumière est tantôt exposée, surexposée, joue avec la poussière, reflète l’engourdissement de la ville et illumine la nuit de milliers de touches d’espoir. Enfin, la composition musicale originale d’Alexis Rault réussit son immersion dans la ville, accompagne les quelques instants de sensualité, tout en reflétant la pesanteur de ce silence obligé.

Fragilités et espoirs

Chaque personnage présenté laisse entrevoir ses failles. Mohsen, le professeur d’histoire amoureux de sa liberté, qui perd sa foi après avoir participé machinalement à la lapidation d’une femme. Zunaira, l’artiste frustrée dans sa création, défie les lois et les interdits, mais, par sa colère, se rapproche de la folie. Atiq, le geôlier qui refuse d’être bourreau, est tiraillé entre les souvenirs de la guerre et les exigences des Talibans. Touchants, ces personnages sont aussi réalistes par leur douce amertume de vivre et leurs espoirs de fuite. Cette fuite semble impossible, repoussée, désirée tout autant que rejetée : s’envoler librement ailleurs n’est-il pas synonyme d’abandon de ses terres natales et d’échec face à ces dirigeants qui gouvernent par la terreur ?

L’Orient vu par l’Occident ?

Si ce film d’animation est un plaisir visuel et auditif, l’entrée en jeu semble peut-être abrupte, puisqu’en seulement quelques minutes un portrait désolant de l’Islam est dressé, sans réelle nuance — des interdictions injustifiées, des croyants irraisonnés, et de la violence divinisée. Ce film occidental (produit en France, en Suisse et au Luxembourg) repose sur cette antinomie culturelle avec « l’Orient », puisque les personnages s’opposant au régime obscurantiste des Talibans nous présentent des idéaux tout droit issus des Lumières. Par exemple, Zunaira milite pour ses droits en tant que femme, refuse de porter le vêtement traditionnel et rêve de pouvoir embrasser librement son mari dans la rue. Ce personnage déconstruit donc les normes sociales imposées au sexe féminin et repense les rapports de genre en Afghanistan. Ce témoignage semble trop rapide, donnant l’impression qu’il travestit la culture afghane en y plaquant des idéaux occidentaux, et manque à nouveau de nuance : est-ce la vision du monde de Zunaira par Zunaira, ou bien est-ce la vision du monde que l’Occident d’aujourd’hui souhaite donner aux Afghans contestataires d’hier ? Sans compter que le scénario est centré en grande partie sur le dévoilement de la sensuelle Zunaira, alimentant des fantasmes déjà connus — et critiqués. Une hirondelle ne fait donc pas le printemps, mais ces faiblesses scénaristiques ne gâchent en rien la finesse esthétique de l’œuvre présentée.


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