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Quel avenir pour l’éducation ?

Faire la leçon, éloge d’une vocation de plus en plus précaire.

Eugene Holtz

Les rues du Québec ont accueilli ces dernières années un échantillon significatif du corps professoral qui, garant des esprits de demain, refusait de se complaire dans des conditions salariales jugées insuffisantes pour ce que représente la charge du métier. Si la vague de grèves et de manifestations a fait gronder les espaces publics durant les dernières années, la pièce Faire la leçon cherche à nous rappeler le combat toujours actuel que mènent les enseignantes et enseignants au sein d’un système d’éducation jugé délétère par celles-ceux qui y oeuvrent.

Dans un texte brillamment ficelé par l’autrice Rébecca Déraspe, quatre professeur·e·s s’échangent craintes, névroses et anecdotes comiques pour soulager la pression de plus en plus éminente liée aux complexités de leur métier. Alors que le nombre d’élèves par classe augmente, que l’accès aux services spécialisés est restreint, que les heures supplémentaires non rémunérées s’accumulent et que la relève ne semble pas vouloir pointer le bout de son nez, ces profs travaillent d’arrache-pied pour répondre aux besoins criants d’un système qui frôle dangereusement la précarité.

Humaniser la profession

Essayant chacun·e à leur manière de former adéquatement les cerveaux de demain, ces profs réussissent à échanger énormément d’humanité avec les spectateur·rice·s. Alors qu’ils et elles s’enferment à tour de rôle dans une salle des profs aussi épurée qu’inappropriée — composée uniquement d’une imprimante, d’un ventilateur et de quelques bancs rappelant les cours d’éducation physique — chacun·e révèle une part des inquiétudes qui l’habitent. Parmi celles-ci figurent la crainte de ne pas savoir utiliser les bons mots pour parler de consentement auprès des étudiant·e·s et l’inconfort ressenti face aux questions pour lesquelles il·elle·s n’ont pas toujours de réponse. Le plus vertigineux des défis demeure toutefois celui de devoir expliquer à cette nouvelle génération d’étudiant·e·s [trop] lucides que leur avenir est éminemment menacé par la catastrophe climatique, et que l’école ne pourra pas directement y contrevenir. Conscient·e·s des limites du système qu’il·elle·s chapeautent et ayant parfois envie de sortir du cadre trop strict des manuels scolaires afin de donner, eux·elles aussi, leurs opinions, les profs nous enseignent une leçon d’humanité. Il·elle·s nous rappellent que ces maitres et maitresses de l’éducation ressentent eux·elles aussi des peurs, des craintes et des doutes. Qu’il·elle·s ne sont pas isolé·e·s des aléas du monde.

Corps et mouvements

Mise en scène par Annie Ranger, la pièce est une production du Théâtre I.N.K qui s‘inscrit dans une démarche de théâtre physique, souhaitant mettre en scène le corps et ses multiples déclinaisons mouvantes. Pour appuyer le texte et surtout ce qui s’écrit entre les lignes, chaque personnage évolue sur scène dans ce qui pourrait s’apparenter à une chorégraphie ; les émotions sont vécues à travers le corps, découpées dans des mouvements qui nous semblent initialement assez aléatoires. Ce choix scénique, quoique surprenant, permet au fil de la pièce de créer une dimension de lecture seconde au récit. Alors que les quatre acteur·rice·s assurent des personnages forts et très vocaux, le surjeu est de mise pour rendre compte du surplus d’émotions qui les habitent. Le côté archétypal, voire stéréotypé, du jeu rend le tout d’autant plus risible et tragique ; en témoigne une détresse profonde qui ne peut que toucher l’auditoire. 

Rébecca Déraspe a su saisir une panoplie d’instanéités, faisant de nombreux clins d’oeil aux contemporanéités des milieux étudiants. Elle ponctue le tout d’un ton satirique et d’énormément d’humour, créant ainsi une pièce irrévocablement ancrée dans le quotidien — une réelle critique sociale déguisée.

Faire la leçon est présenté au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 29 novembre prochain.


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