Aller au contenu

Panel sur la loi 21

Quatre avocat·e·s se sont exprimé·e·s sur la Loi sur la laïcité de l’État.

Fernanda Muciño

La Société Runnymede de McGill a organisé le 4 novembre dernier au tribunal-école Maxwell Cohen un panel de quatre avocat·e·s qui ont exposé leurs positions respectives sur la loi 21. Le Pr Daniel Turp et Me Julie Latour y étaient favorables, tandis que le Pr Maxime St-Hilaire et Me Coline Bellefleur étaient contre. La discussion, modérée par l’honorable Louise Otis, anciennement juge à la Cour d’appel du Québec, était divisée en deux thématiques : l’effet — utile ou préjudiciable — de la loi 21 sur la société et la constitutionnalité de cette loi controversée. 

Utilité de la loi 21

La discussion sur le premier thème a été entamée avec la perspective du camp du « pour ». Me Latour a affirmé que la laïcité n’était pas antireligieuse, mais plutôt « le socle du pluralisme », permettant au peuple de se reconnaître dans l’État grâce au caractère neutre de ses représentant·e·s. La neutralité de l’État, a‑t-elle avancé, est intrinsèque à la liberté de religion et à la primauté des lois de l’État de droit sur celles de toute religion. Me Latour a également abordé le long processus québécois de déconfessionnalisation, tant dans les écoles que dans le Code civil, comme justification historique de la poursuite de la laïcité de l’État. De son côté, le Pr Turp a vanté l’utilité de la Loi 21 en avançant que le principe de la laïcité de l’État devrait être enchâssé dans une loi fondamentale tant pour donner suite à une réclamation de la société québécoise que pour offrir une clarté aux tribunaux sur ce principe jusqu’à maintenant ambigu, non-enchâssé et adressé au cas par cas.

Du côté des opposant.e.s, Me Bellefleur a entamé l’argumentaire contre la loi 21 en affirmant que la controverse actuelle ne porte pas sur la laïcité — principe dont la validité n’est pas en question — mais bien sur la Loi sur la laïcité de l’État. Selon Me Bellefleur, cette loi légifère plutôt sur l’apparence des gens et fragilise l’État de droit en invoquant la clause dérogatoire, une disposition permettant au Parlement d’exempter une loi de l’application de certains droits de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a contesté l’idée que la loi 21 venait combler un vide juridique en affirmant que les quatre principes défendus par celle-ci (« la séparation de l’État et des religions, la neutralité religieuse de l’État, l’égalité de tous les citoyens et citoyennes ainsi que la liberté de conscience et la liberté de religion ») sont déjà reconnus dans la jurisprudence. Le Pr St-Hilaire a, de son côté, avancé l’inopportunité de la loi 21 étant donné la pénurie de main‑d’œuvre actuelle et a affirmé qu’il n’y avait pas de légitimité à l’utilisation « massive et allègre » de la clause dérogatoire tout en critiquant les arguments selon lesquels il existerait une tradition civiliste et historique justifiant la séparation rigide de l’État et des religions. 

Constitutionnalité de la loi 21

Le Pr Turp a ouvert le débat sur le deuxième thème en distribuant au public un tableau présentant les arguments des trois affaires contestant la constitutionnalité de la loi 21 présentement devant les tribunaux. En réponse à l’argument voulant que la loi 21, en imposant une norme juridique de non-croyance, porte sur le droit criminel — une compétence fédérale — et viole ainsi le partage des compétences, il a stipulé que, comme la loi n’interdit pas le mal, elle ne tombe pas dans le domaine du droit criminel. Quant aux arguments avançant une violation des principes constitutionnels (primauté du droit, démocratie et protection des minorités, indépendance judiciaire), il a maintenu que ceux-ci ne peuvent être opposés lorsqu’on se trouve en présence de l’exercice de la souveraineté du Parlement, soit l’Assemblée nationale. Me Latour a quant à elle avancé que la laïcité ouverte qui prévalait avant la loi 21 n’était pas conforme à l’État de droit et que la Cour suprême, lorsqu’elle avait souligné l’absence de définition claire de la notion de neutralité religieuse dans Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), avait en fait émis un appel à légiférer sur cette question, appel auquel répond la Loi sur la laïcité de l’État. Me Latour a par ailleurs soutenu que la loi 21 profite à tous·te·s, car elle défend le droit fondamental de tous·te·s d’avoir un État laïc.

Me Bellefleur a argumenté contre la constitutionnalité de la loi 21 en faisant valoir le flou et l’imprécision du qualificatif « [qui] soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse » énoncé par la loi pour désigner un signe religieux. Le risque de dérive quant à ce critère pouvant, selon Me Bellefleur, partir dans tous les sens est une crainte réelle et non théorique ; pour en avoir la preuve, elle a invité le public à regarder vers la France, où de jeunes filles ont été renvoyées de l’école à la maison pour leur port du foulard. L’avocate a par ailleurs avancé que l’argument de la violation du partage des compétences tenait la route : en l’absence de toute justification rationnelle pour légiférer comme il le souhaitait, le Parlement a légiféré sur la morale avec la loi 21, tombant du coup dans le champ fédéral de compétences. Le Pr St-Hilaire a lui aussi défendu la thèse d’une violation du partage des compétences. Il a stipulé que les provinces n’ont pas compétence pour adopter des lois à caractère religieux (ce qui inclut la non-croyance) au sens juridique du terme de façon restrictive à la liberté de croyance, que les droits de la personne sont un domaine partagé et que la Loi constitutionnelle de 1867 ne donne pas une compétence religieuse illimitée aux provinces.

Débat libre et questions 

Cette dernière a vu quelques échanges enflammés (versant parfois dans la cacophonie) entre Me Latour et Me Bellefleur sur la juste interprétation de l’affaire Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville). La période de questions, très courte, n’a pas permis à tous·te·s les panellistes de s’exprimer sur des enjeux soulevés par les étudiant·e·s dans la salle tels que l’égalité femmes-hommes, le prosélytisme religieux et les concessions pouvant être faites à l’autre côté du débat. L’honorable Louise Otis a conclu le panel de discussion avec des statistiques sur l’appui de la population tant québécoise que canadienne à la laïcité de l’État, une intervention qui a poussé certain·e·s membres du public à s’exclamer ironiquement à voix haute « What neutrality ! » devant ce qui était perçu comme une prise de position en faveur de la loi de la part de la modératrice. Ce débat avait lieu au sein d’une université qui, le 16 juin dernier, a vu son administration émettre un communiqué énonçant la crainte que la loi 21 ne « restreigne inutilement les occasions professionnelles pour certains de [ses] étudiants. »


Articles en lien