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Briser le singulier de la santé mentale

Iyad Kaghad, Béatrice Malleret


Mise en garde : La plupart des articles de cette édition traitent de thèmes liés aux « troubles de la santé mentale » et contiennent par-là des propos sensibles qui pourraient redéclencher un traumatisme psychologique et des réactions émotionnelles déstabilisantes. Les articles en question seront accompagnés de mises en garde.

Nous avons voulu explorer ce que l’on tait souvent, mettre au coeur de nos pages ce que l’on écarte de nos chemins pour ne pas, surtout pas, ralentir. Nous avons voulu écrire d’une voix plus personnelle et intime que celle avec laquelle l’on parle dans nos éditions habituelles.

Il nous a semblé nécessaire pour ce faire d’interroger le concept de « santé mentale » et le singulier auquel on le décline en permanence. Jeunes et étudiant·e·s, avec le privilège d’avoir cette tribune d’expression et un état de santé mentale adéquat pour écrire des articles, nous ne prétendons à aucune exhaustivité. Dans le contexte compétitif mcgillois, il est attendu de nous que l’on réussisse sur tous les plans et que l’on sache composer avec cette pression qui nous pèse. On attend de nous que l’on ait les outils à la fois pour atteindre les buts inaccessibles que l’on nous impose et aller mieux quand l’on n’y parvient pas, supposé·e·s se comprendre avec l’assurance illusoire dont on doit faire preuve dans nos travaux. Tout souci pour le bien-être des autres devient dans cette course effrénée presque toujours secondaire.

Nous reconnaissons la profonde complexité du sujet et nous avons donc tenté d’explorer ce qu’il est coutume d’appeler les « troubles de la santé mentale » sans prétendre n’en comprendre ni n’en aborder tous les aspects. Les guillemets sont là pour questionner le concept de trouble : est-il anormal de partir à la dérive sur une mer si violente où tout nous exhorte à viser sans fléchir ni réfléchir un perfectionnement permanent ? Cette exhortation à être toujours plus heureux et le modèle unique de « bonheur » auquel nous devrions aspirer nous semblent dangereux, nous demandant d’accepter en souriant des dynamiques sociétales occidentales qui nous emmènent droit dans le mur.

Nous avons tenté de dépasser le cadre uniquement mcgillois. À de multiples reprises, nous avons critiqué l’inaction de l’administration pour le mieux-être psychologique des étudiant·e·s, et les actions qui l’empêchent, comme notamment le refus d’ouvrir la question de la semaine de relâche d’automne, les coupes intempestives dans le budget pour la santé mentale, et la pression académique toujours plus lourde mise sur nos épaules.

Nous avons aussi essayé d’éviter le piège de la banalisation des « troubles de la santé mentale », qui semble être l’effet fâcheux d’une sensibilisation pourtant souhaitable. Présenter la dépression, l’anxiété, les troubles du sommeils comme rites de passage obligatoires et inévitables de l’expérience étudiante, particulièrement dans une université aussi compétitive, est dangereux. Il est tout aussi problématique d’utiliser ces termes constamment, les galvaudant, et rendant les « troubles de la santé mentale »  banals. Tout le monde ne souffre pas de dépression ou d’un trouble de l’anxiété. Ces mots ne peuvent et ne doivent pas être utilisés à tort et à travers quand sont tues les discussions qu’il faudrait vraiment avoir.

Enfin, les articles de cette édition ont pour vocation d’exprimer la complexité de nos identités et par-là des sources de nos états psychologiques, et de faire de notre statut d’étudiant·e un rôle parmi d’autres à assumer pour réaliser l’ambition d’être toujours à la hauteur d’attentes irréalistes. Nous avons tenté de mettre en évidence que les dynamiques de classe, de genre et de race, elles aussi, peuvent déclencher des  «  troubles de la santé mentale » et impacter de façon systémique ceux et celles qui se trouvent marginalisé·e·s par les structures politiques et de pouvoir à l’oeuvre dans les sociétés occidentales.


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