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L’environnement décliné au féminin

Présentation des liens qu’entretiennent des femmes autochtones avec l’environnement.

Béatrice Malleret | Le Délit

Le samedi 2 février avait lieu au pavillon J‑A de Sèves de l’Université du Québec à Montréal la conférence « Récits de femmes autochtones dans les luttes environnementales », organisée par le comité féministe de sociologie de l’UQAM et le Collectif de Recherche en Aménagement Paysager et Agriculture Urbaine Durable (le CRAPAUD).

Animée par Karine Tayka Raymond, activiste autochtone issue de la nation Ojibwé du Manitoba, la présentation retraçait le parcours de sept femmes autochtones et leurs luttes respectives pour la protection de l’environnement. À travers les portraits de Pua Case, Josephine Mandamin, Winona LaDuke, Kathanus Manuel, Christine Nobis, Cheryl Angel et Louise Benally, chacune luttant pour une cause précise, le public a pu prendre conscience de l’importance des voix féminines dans l’activisme environnemental chez les nations autochtones.

Un engagement personnel

Selon les propos de Karine Tayka Raymond, l’engagement environnemental est intrinsèquement lié à l’éducation des jeunes filles et au rôle attribué aux femmes chez les peuples autochtones. Dès leur jeune âge, celles-ci développent auprès de leurs aînées, à travers l’apprentissage des savoir-faire traditionnels, une relation personnelle avec les mondes animal et végétal. Elles y apprennent à respecter l’environnement dans lequel elles évoluent et développent une compréhension accrue de ses écosystèmes, saisissant leur complexité et la fragilité de leurs équilibres.

Cette compréhension se cristallise en elles, les munissant d’une intuition et d’une connexion forte à leurs terres qui les vouent à ressentir « en leurs entrailles » tout mauvais traitement infligé à celles-ci. En nous décrivant ce lien si particulier qui unit les femmes autochtones à la nature qui les entoure, Karine Tayka Raymond nous assure qu’elle n’est pourtant pas encore tombée dans des considérations spirituelles ou mystiques, et qu’il s’agit là d’un phénomène bien réel. Toutefois, la conférencière confie qu’elle comprend que cette relation fusionnelle soit difficile à concevoir pour des scientifiques occidentaux, à qui elle ne pourrait fournir de preuves formelles et palpables de ce sentiment.

Femmes médiatrices

La discussion se poursuit et l’on comprend que, fortes de ce lien, ces femmes autochtones seraient incitées à agir contre la dégradation de leurs terres et sont d’autant plus déterminées à confronter les acteurs non autochtones de cette destruction, munies d’un sens profond de la médiation. Contrairement au discours patriarcal occidental qui aurait tendance à considérer la femme comme un être irrationnel et facilement submergé par ses émotions, les femmes autochtones seraient au contraire perçues dans leurs nations comme la voix de la raison, aptes à maîtriser leurs émotions pour résoudre au mieux d’éventuels conflits nourris par les hommes aux tendances colériques. C’est pourquoi les femmes autochtones sont dépeintes comme des intermédiaires de choix pour faire valoir les droits de leur nation auprès d’étrangers aux intentions hostiles. La conférencière illustre ensuite son analyse par le récit des protestations survenues en 2016 sur le territoire de la réserve américaine Standing Rock, en opposition à la construction du Dakota Access Pipeline. Présente sur les lieux au moment des faits, Karine Tayka Raymond raconte que, lorsque les bulldozers occidentaux ont entamé leurs travaux sur le site d’un ancien cimetière autochtone, les femmes réunies non loin auraient été les premières à se mobiliser et ont accouru sans tarder, traversant la rivière gelée pour arrêter les ouvriers situés sur l’autre rive, tandis que les hommes autochtones les talonnaient et restaient à leurs côtés.

Prise de conscience

À en croire les regards incrédules qui se propageaient à travers l’audience et l’effervescence de la séance de questions ayant clôturé cette conférence, l’initiative mise en place à l’UQAM a visiblement accompli sa mission d’éveiller les consciences quant au rôle des femmes autochtones dans les luttes environnementales, et dans le contexte actuel de l’éventuelle construction d’un oléoduc sur les territoires autochtones de la nation Unist’ot’en. Elle a aussi pu souligner l’importance du lien qui unit les populations autochtones à leurs territoires et rappeler l’impératif qu’est celui de respecter ce lien pour assurer une cohabitation paisible sur des terres qui n’ont jamais été cédées.


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