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« À Québec, les choses bougent »

Le Délit rencontre Marius Larue, producteur, ingénieur du son et artiste de Québec.

Iyad Kaghad | Le Délit

Alors que son premier single est en ligne sur YouTube depuis le 21 novembre dernier, Marius Larue est au quotidien l’un de ces acteurs de l’ombre dans l’industrie de la musique. Dans cette entrevue, celui qui signe ses productions #MadeOnMars revient sur l’expérience souvent occultée des artistes du son et sur les enjeux de la scène locale dans la capitale nationale.

Le Délit (LD) : De l’écriture d’une chanson à la sortie d’un clip officiel, plusieurs étapes sont nécessaires ; peux-tu expliquer quel est ton rôle dans le processus ?

Marius Larue (ML) : Tout d’abord, il dépend de chaque contexte. Parfois, je vais simplement enregistrer un client. Je vais donc travailler davantage l’aspect technique du son ; il s’agit souvent de faire du mixing et du mastering, qui sont des processus d’enrobage de la musique. Le mixing consiste à balancer autant que possible les différents éléments composant un son, une musique. Il existe des lignes techniques directrices pour produire un son esthétique. Il s’agit, par exemple, d’équilibrer la voix du chanteur avec les différents instruments tout en respectant le style musical désiré. Le mastering, c’est la touche finale. On travaille le son pour qu’il émane bien de tous les médiums, comme la radio, la télé, les écouteurs d’iPod, etc. Dans ces cas, l’engagement que je prends se limite uniquement à la qualité sonore du produit final. Cependant, il m’arrive plus souvent de participer à des projets pour lesquels j’ai un réel engagement artistique parce que le travail effectué est plus transversal ; j’écris des paroles, crée le son ou participe à la direction du clip.

LD : Tu es toi-même artiste. Tu viens de partager sur YouTube ton dernier single « Monde ». Peux-tu nous en parler un peu plus ?

ML : Ça faisait un bon moment que cette chanson dormait dans mon ordi. Je l’ai composée et enregistrée il y a au moins sept mois. Ce fut un long processus, parce que j’avais beaucoup de travail et d’engagements ailleurs. Cette chanson, c’est un trip, un délire. C’est l’expression de cet amour que j’ai pour le voyage. Ma mère est suisse et j’ai eu l’occasion de voyager pas mal à travers l’Europe. J’ai simplement parlé avec mon cœur et voulu transmettre cette bonne vibe, des moments de sérénité que l’on a quand on est ailleurs que chez soi. Ça vient aussi de ce désir de voir le monde, de rencontrer des gens de partout et de partager ce que je ressens avec eux. C’est une chanson qui se veut simple, dans le sens où je recherche simplement à transmettre un état d’âme positif, centré sur la joie de découvrir autrui et de profiter des moments de liberté.

LD : Ton père est saxophoniste et fait partie des musiciens qui accompagnent Hubert Lenoir en tournée. Peux-tu nous parler du rôle joué par ta famille dans ta quête de création ?

ML : Ça peut paraître marrant à mentionner, mais ma mère m’a toujours dit qu’elle allait souvent voir des spectacles de musique lorsqu’elle était enceinte de moi. Ça signifie qu’avant même ma naissance, je baignais déjà dans la musique. C’est quelque chose qui est simplement dans mon sang. J’ai toujours ressenti le besoin de faire de la musique. Cela a été fondamental dans mon éducation. Ma famille est constamment environnée par la musique et l’art en général. Mais, je ne peux pas vraiment mettre de mot sur pourquoi c’est comme ça. Ça sort de moi et c’est tout.

LD : Quelles sont tes plus grandes inspirations en termes de sonorité musicale ?

ML : Oh shit, c’est une question difficile ! Vite comme ça, je dirais que certains styles musicaux comme le jazz, le soul,  le trap et le R&B influencent assez mes sons. Je dirais aussi que je me nourris beaucoup de ce que mon environnement m’apporte.  Les gens me font souvent découvrir de nouvelles choses et je finis par les intégrer. J’adore aussi Londres. Londres, pour moi, c’est une esthétique, c’est mythique. Je pense à des artistes comme Tom Misch, Skepta, Jorja Smith ou encore Jesse Boykins III. Londres est une ville qui vit naître de grands studios et de grands artistes à travers le  20e siècle. Je retrouve une certaine authenticité dans cette ville et c’est ce qui me plaît. C’est moins pop, moins « carton », comme on pourrait voir dans l’industrie américaine. Sinon, évidemment,  j’ai beaucoup été influencé par mon père concernant le jazz, et le funk du côté de ma mère aussi. Je ne pense pas avoir ni un créneau ni un style particulier, c’est davantage un amalgame de toutes sortes. Par contre, on élimine le country (rire, ndlr)!

LD : Tu viens d’emménager dans un nouveau studio. Quels sont les principaux avantages d’être maintenant établi en basse-ville de Québec ?

ML : Un mot : centralisation. J’avais envie de faire converger en un seul endroit les gens qui ont les mêmes intérêts musicaux que moi, de rassembler une communauté mélomane. Ça me permet aussi d’avoir un vrai studio professionnel avec du matériel de qualité. L’avantage d’être en basse-ville, c’est l’accessibilité. Le centre-ville de Québec est un point milieu dans l’agglomération urbaine de la capitale. Tous les moyens de transports permettent de venir ici. J’aime l’endroit, il me permet de me vider la tête quand j’en ai besoin, le Ashton est tout prêt, toujours utile (rire, ndlr)!

J’avais envie de faire converger en un seul endroit les gens qui ont les mêmes intérêts musicaux que moi, de rassembler une communauté mélomane

LD : Dans l’imaginaire collectif, Montréal est souvent perçu comme le carrefour créatif du Québec. En quoi la capitale nationale joue-t-elle un rôle de plus en plus important dans l’enrichissement artistique et culturel de la province ?

ML : Je ne me rappelle plus qui avait dit ça, mais j’ai entendu à RDI Musique récemment ceci : « Je ne sais pas ce qu’il y a dans l’eau à Québec, mais on sent que quelque chose se passe. » Je suis assez d’accord avec ça. À Québec, les choses bougent. Il est vrai de dire qu’avant, que ce soit positif ou négatif, Montréal nous faisait de l’ombre. Montréal, c’est gros ; il y a un bassin d’artistes important, beaucoup de possibilités. Et justement, j’ai cette impression qu’à Québec, avec le temps, on a développé un complexe d’infériorité, qui à mon sens reste persistant mais se tasse graduellement. C’est-à-dire qu’il y a énormément de talent à Québec, de culture musicale, de gens explorant des esthétismes sophistiqués, underground. Je sens ce désir chez les artistes de Québec de faire connaître au-delà de leur ville leur créativité, d’exporter leur talent, comme le fait Montréal. Beaucoup de choses sortent de Montréal vers le monde, mais je pense que de belles choses sortiront de Québec. Il y a moins de moyens de diffusion à Québec, le réseau est moins grand, la ville est plus petite… Mais justement, ça change. On pense à Hubert Lenoir, une figure maintenant bien connue dans la province et à qui le monde tend les bras. C’est quelqu’un qui est artistiquement assez puissant, qui a son délire, son truc. Plusieurs groupes sont là, comme Élégie que tu connais. Les gens se réveillent. On voit des gens qui ont du talent. Ce n’est pas uniquement : « On fait du beat pour s’amuser. » On entend les créations et on se demande : « Mais d’où ça vient ça ? Ça mérite d’être entendu. »

Je sens ce désir chez les artistes de Québec de faire connaître au-delà de leur ville leur créativité, d’exporter leur talent, comme le fait Montréal 

Webmestre, Le Délit

LD : Le bar Le Cercle offrait autrefois une vitrine intéressante pour les artistes locaux. Sa fermeture est-elle un problème pour la valorisation d’artistes émergents à Québec ?

ML : Oui et non. Oui, parce que c’est un endroit de moins, et disons qu’à Québec, il y a peu d’endroits qui laissent la place à la relève. Il n’y a pas vraiment de lieux où l’on peut exposer ce que l’on fait, très peu de vitrines. Mais en même temps non, parce que malheureusement le public n’est pas au rendez-vous. C’est drôle, parce que j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui créent, il y a une effervescence, mais on a connu un creux dans les deux, trois dernières années. Ce n’est pas pour rien que Le Cercle a fermé ; peu importe s’il existe un bar pour accueillir des artistes émergents, si personne ne vient, personne ne vient ! J’ai l’impression qu’il y a très peu de demande culturelle. Je pose la question ouvertement : quels loisirs ont les gens de Québec dans leur soirée ? Je ne sais pas. Y’a peut-être pas assez de gens, peut-être y a‑t-il un manque d’intérêt. Les gens préfèrent les bars. Je ne sais pas.

LD : Pour pallier à ce manque de demande, comment Québec pourrait-elle se positionner pour aider  la promotion d’artistes locaux ? Québec peut-elle se distinguer par rapport aux autres villes canadiennes ?

ML : Je dirais évidemment que le financement, l’argent et les subventions sont toujours les bienvenus. Ensuite, j’ai envie de dire que les stations radiophoniques jouent un rôle important. Et, ici, je parle aussi des radios hors ville de Québec. Tout est dans la diffusion. À Québec même, certaines radios diffusent les artistes locaux, comme CHYZ, la radio universitaire de l’Université Laval. Mais le problème réside dans la visibilité de ces mêmes radios. Après, si l’on parle d’Hubert (Lenoir, ndlr), pour en revenir à lui, ce qui m’a surpris, c’est qu’il a bénéficié d’une diffusion monstre. Même Radio X diffusait sa musique.

LD : Cela n’est-il pas dû au fait qu’il était déjà connu auparavant, grâce à son groupe The Season ?

ML : Oui et non. Dans un sens, les radiodiffuseurs le connaissaient, donc cela a pu aider. Mais factuellement, Hubert est musicalement excellent. C’est sa musique qui fait son renom et non sa personnalité. Toujours est-il que, dans une vision plus large, il y a un bassin de population moins important à Québec. Il y a donc mécaniquement un marché moins grand, avec moins de possibilités. Mais Québec grossit, et c’est là que notre implication devient intéressante. Québec a toujours été une ville attirante pour sa beauté, sa tranquillité et son aspect historique, mais la vie culturelle à Québec bouillonne. Hubert en est une manifestation, et d’autres suivront assurément.


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