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« On se serre les coudes »

Le Délit rencontre le réalisateur Gilles Lellouche, venu présenter en première nord-américaine son dernier film, Le Grand Bain. 

Mano

Le Délit (LD) : En quoi les festivals francophones à l’étranger comme Cinémania sont-ils importants pour vous ? 

Gilles Lellouche (GL) : Ce n’est pas une question d’importance. Ça me semble complètement normal. On est quand même très peu à être francophones dans ce monde (rires, ndlr) alors ça me semble assez logique qu’on se serre les coudes et qu’on soit tous encore plus solidaires qu’on ne l’est, même si je ne suis pas sûr qu’on le soit encore assez suffisamment pour défendre la cause de la francophonie, en tout cas des œuvres francophones. Donc c’est normal que je vienne, au même titre que j’aie été présenter mon film à Bruxelles ou en Suisse. C’est pour moi très naturel, et surtout très joyeux.

LD : Pensez-vous qu’il y a encore un pas à faire dans la francophonie, dans le cinéma francophone, pour qu’il se développe à l’international ?

GL : Je pense qu’on est quand même très très écrasés par la culture anglo-saxonne. « Écrasé », le mot n’étant pas péjoratif. Ce n’est pas une domination mais c’est quand même, en termes de chiffres, de nombres, une réalité. Donc oui, je pense que c’est bien qu’on soit conscient que malgré notre différence linguistique on est capable de faire des choses qui pourraient s’exporter dans le monde entier aussi, et qu’on n’a pas à rougir de ce qu’on fait, que ce soit ici, comme les films de Xavier Dolan, ou que ce soit en France. On peut faire des films qui s’exportent, on a une grande qualité d’écriture, de réalisation, on fait de très bons films, de la très bonne musique, on fait de la très bonne littérature, alors tout va bien !

Je pense qu’on est quand même très très écrasés par la culture anglo-saxonne.

LD : Est-ce qu’il y avait beaucoup d’appréhension avant la préparation du film Le Grand Bain ?

GL : Ohhh ! (rires, ndlr) L’écriture du scénario ça a été un plaisir. De toute façon l’écriture, à moins que ce soit vraiment quelque chose de compliqué, ça ne doit pas être une douleur, ça doit être un plaisir. Et puis au même titre que vous écrivez sur un cahier avec un crayon de papier, moi quand j’écris, je peux écrire sur un cahier avec un feutre et tant que c’est des mots sur une page ça n’implique rien, ça ne coûte rien, je n’emmerde personne. C’est moi et moi-même. Je fais ce que je veux et je vais où je veux. Disons que c’est encore le champ des possibles. L’écriture c’est donc assez simple. Ensuite ça se complique, il y a le fantasme de : « qu’est-ce que je voudrais comme acteur ? », « qui je voudrais pour incarner ça ? » Et puis un jour toutes ces idées, tous ces fantasmes qu’on a eu dans son bureau à minuit ou dans un train à 10h, d’un coup cela devient une réalité, il y a une date de début de tournage, plein de monde et 16 semaines pour réaliser ça (sifflements, ndlr). J’ai eu deux semaines, ouais, avant le début du tournage, ou je n’étais pas fier. Je ne dormais pas de la nuit, j’avais l’impression de ne pas avoir assez travaillé, que j’allais dans le mur et puis tout d’un coup des « pourquoi je fais ça ? ». Et puis tu as toujours des copains, plus ou moins bien intentionnés, qui te disent : « mais pourquoi tu t’emmerdes à faire ça, t’es tranquille, tout va bien ». Donc oui, c’était bizarre, et puis en fait, les premiers jours de tournage j’ai vécu un rêve…

LD : Justement vous répondez à une de mes questions. Est-ce qu’il y a une suite de prévue ou d’autres projets en réfléxion ? 

GL : Je ne ferai pas de suite au Grand Bain, ça m’étonnerait.

J’ai des idées, j’ai plusieurs idées. J’ai une idée qui parlerait de la nostalgie. Mais j’ai une autre idée qui est une comédie-romantique, une sorte de film d’amour comme une comédie un peu cucul, un peu romantique et en même temps ultra-violente tout en étant une comédie musicale…

LD : Vous englobez donc beaucoup de genres dans le même film…

GL : En fait j’aime bien me dire que, même si, quand j’ai fait Le Grand Bain, j’ai fait un film que j’avais envie de voir, ce n’est pas vraiment une comédie pure, ce n’est pas un drame pur, ce n’est pas non plus un film de compétitions pur, ni de sport… C’est beaucoup de choses en même temps et j’aime bien ça. J’ai envie d’aller vers un cinéma qui soit libre comme ça, qui mélange plein de genres parce que, moi, c’est ce que j’ai envie de voir.

LD : On sent qu’il n’y avait pas seulement un désir de comédie, notamment au travers du personnage dépressif incarné par Mathieu Amalric ? 

GL : Je n’avais pas envie de faire  une comédie ou un drame. Je ne me suis mis aucune étiquette. J’ai commencé avec ce personnage qui nous emmène à la rencontre et à la conquête des autres et j’ai seulement écouté mon désir de raconter ces personnages le plus honnêtement possible. Si vous partez du principe que vous faites une comédie, vous allez être tenté de faire une blague au bout de deux secondes de film, d’être dans un tempo et ça peut devenir une caricature. Moi j’avais envie que dès la première partie mes personnages soient hyper honnêtes, hyper plausibles, hyper humains, et que l’on voit après si ça nous fait rire ou pas. Mais je n’ai pas voulu mettre d’étiquette.

LD : Votre film a rencontré un grand succès ! Il a été projeté au festival de Cannes et met d’accord la presse et le public. Est-ce que vous pensez que si vous aviez peut-être écouté « plus » les autres cela aurait pu être moins réussi ?

GL : J’ai beaucoup écouté les autres. Ceux qui ont travaillé avec moi, mon « chef-op », mon décorateur, mes auteurs, mes producteurs… je les ai beaucoup écouté. Mais un réalisateur doit être autant à l’écoute qu’il doit savoir un moment fermer les écoutilles. C’est comme quand vous êtes amoureux. Au tout début d’une histoire d’amour vous avez beaucoup de talent, parce que vous êtes en éveil, super vivant. Vous avez le bon mot, la bonne blague, le bon geste et puis avec le temps ça fait partie du quotidien, on est moins vivant. Un réalisateur doit être amoureux, c’est une passion, il doit être à l’écoute de tout, répondre à tout et puis tout d’un coup savoir que : « non ce n’est pas comme ça qu’on va faire », « non là je ne t’écoute pas, je ne veux pas que tu m’en parles ». Un réalisateur est ultra-vivant. C’est un mélange entre tout écouter et en même temps pouvoir tout refuser aussi. Il faut toujours être en alerte. 


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