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Le déclin s’invite au théâtre

« Plus ça change, plus c’est pareil », ou la devise du déclin de l’empire américain

Claude Gagnon

Le théâtre PÀP se présente comme un « théâtre à texte », et il honore son mandat avec Le déclin de l’empire américain, dont les dernières représentations paraissaient la semaine passée. Loin d’être un « copié-collé » du scénario de Denys Arcand, l’adaptation de Patrice Dubois et Alain Farah pique l’audience par sa persistante actualité. La femme-objet, l’ignorance, la culture du viol, autant de sujets de discussion entre les personnages qui s’entremêlent dans un jeu de mensonges et de vérités. Commençons par poser l’hypothèse qui guidera toute la pièce : selon Judith, universitaire et écrivaine de renom, le déclin de l’empire américain est un mythe, puisque cela impliquerait qu’il y ait déjà eu un âge d’or ; conséquemment, il n’existe qu’un « déluge ». C’est cette prémisse, tirée du livre de Judith, qui guidera la pièce.

La femme comme victime

Le personnage de Marie-Hélène, journaliste, mère de famille et « femme libérée », raconte au début de la pièce ses ébats avec son nouvel amant. Elle explique que les pratiques sexuelles dégradantes de ce dernier lui procurent un plaisir sexuel méconnu d’elle jusqu’alors, et qu’elle a même peur de savoir jusqu’où elle serait prête à aller dans les aventures sadomasochistes dont elle est la victime. En faisant références à ses aventures, elle lance d’ailleurs à Judith : « le pouvoir de la victime, tu ne peux pas savoir ce que c’est, c’est effrayant ». Cette phrase semble évidemment lourde de sens dans le contexte social actuel, où la parole de la victime et son statut son constamment remis en question.

Le flirt vérité-mensonge

Lors du souper, pendant lequel se rencontrent les quatre hommes et les quatre femmes, commence une danse dangereuse entre pouvoir et impuissance, vérité et mensonge. Certain·e·s marchent sur des œufs pour garder leurs secrets de tromperie, d’autres crachent cruellement la vérité à la face de celles et ceux qui s’y attendent le moins. Tout le monde semble se tirer mutuellement vers le bas, et la chute d’un empire (culturelle et sociale) violent et sexiste emporte tous les personnages.

Lumière aveuglante

Certaines scènes sont brillamment mises en lumière dans la pièce, leur donnant une importance que le film n’a pu leur donner. Notamment celle où Marco se livre dans un monologue dans lequel il remet en question la place des universitaires et intellectuel·le·s au sein de la société. Ainsi, tout le monde, de toute classe sociale, se trouve dans le rôle d’agresseur·e et d’agressé·e, rendant au public une brutale représentation de cette valse infernale qui dure depuis toujours, entre hommes et femmes comme entre classes sociales.

Une actualisation qui fait du bien

Les personnages sont d’une agréable authenticité ; ils appartiennent bien à l’univers théâtral plutôt qu’au cinéma. Les références aux produits de consommation et à la culture des années 2000 colorent le texte et le rendent accessible au jeune public. Certains éléments, comme le possible sida de Claude (nom du personnage, ndlr) dans le film de 1986, sont laissés en suspens. Enfin, le message du film ici réactualisé nous crie que l’hypothèse de départ, posée par Judith, est bien vraie, du fait qu’il est toujours pertinent trente ans plus tard : il n’y a pas de déclin, seulement un déluge.


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