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Les Fée-ministes du Rideau Vert

40 ans plus tard, le texte de Denise Boucher résonne plus que jamais.

Courtoisie du Théâtre du Rideau Vert

Pour sa saison 2018–2019, le Théâtre du Rideau Vert fait l’audacieux choix d’annoncer la présentation de la pièce Les Fées ont soif. À l’ère du mouvement #moiaussi, alors que grondent de partout les dénonciations d’injustices et de violences envers les femmes, la nécessité de ce texte semble plus que jamais d’actualité.

Présentée pour la toute première fois au Théâtre du Nouveau-Monde en 1978, la pièce Les Fées ont soif avait, dès sa sortie, indigné un Québec conservateur encore dirigé par les dogmes religieux. Avant même la première représentation, le Conseil des arts de Montréal refuse de subventionner la pièce. Malgré la censure, le directeur artistique de l’époque, Jean-Louis Rioux, tient tête et décide d’ajouter à son programme le texte de Denise Boucher. Des manifestations font rage aux portes du théâtre, des pétitions sont signées pour faire cesser les représentations, et une poursuite est lancée afin de faire bannir la pièce. Décidément, le Québec n’était pas prêt à laisser parler ses femmes.

Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Dans une mise en scène de Sophie Clément, qui faisait partie de la distribution initiale de 1978, Les Fées ont soif présente le destin de trois femmes — une vierge, une mère et une putain. Trois archétypes qui représentent, chacun à leur manière, les conséquences des dogmes et endoctrinements liées à la condition féminine. Dans un texte d’une poésie magnifique, leurs trois voix s’unissent pour crier ensemble l’impuissance, l’injustice et la violence. Pourtant, le jeu des actrices sonne faux dans la première partie de la pièce, où l’on sent la difficulté de porter les paroles d’une autre époque. Les transitions entre les chants et le texte parlé se font difficilement, ce qui ralentit le rythme déjà lent de la pièce. Heureusement, un humour corrosif teinte les répliques des personnages, et l’omniprésence de blagues redonne au propos son caractère fondamental. 

Durant les quarante années qui ont suivi la pièce, le Québec a évolué. L’Église catholique n’a plus la mainmise qu’elle avait auparavant sur les femmes ; certaines tirades de la Sainte Vierge nous semblent alors un peu dépassées. Le texte, dans toute sa poésie et sa beauté, semble parfois se perdre dans des idées déjà largement revisitées. Pourtant, le cri du cœur de la femme derrière la statue, la souffrance de ce corps encastré, de ce corps contraint, restreint, rejoint inévitablement un combat féministe toujours actuel. 

Les Fées ont soif représente avant tout une tentative de reconstruction. Parcourir à nouveau le chemin vers soi, sans être détournée par une volonté masculine. Redéfinir ses envies féminines, ses désirs et ambitions. Quémander un pouvoir, sur soi-même et sur le monde. Exiger une parole, un souffle, une vie. Exiger d’être entendue, écoutée, et libérée. Le théâtre du Rideau Vert ne s’est pas trompé en présentant à nouveau l’une des œuvres les plus subversives de l’histoire du Québec. Certes, la pièce n’est plus aussi révolutionnaire qu’elle l’était il y a quarante ans ; les religieux ne se mobiliseront pas dans les rues pour la faire interdire. Elle n’en demeure pas moins un affront au patriarcat et à cette masculinité toxique qui assèche les femmes afin d’assouvir une soif insatiable de pouvoir. 

La pièce méritera-t-elle d’être jouée à nouveau dans quarante ans ? Probablement, oui. C’est un texte magnifique, qui fait écho aux luttes passées, présentes et futures. Une poésie à la fois déchirante et libératrice, qui permettra un jour aux Fées de ce monde d’atteindre le vrai chemin de la liberté.


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