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La suprématie américaine s’invite au Québec

Réponse à « Quebec’s quest for monolingual domination makes healthcare less accessible ».

Luce Engérant

Le 18 septembre 2018, le McGill Tribune publiait dans ses pages une lettre d’opinion avec un titre qui ne faisait pas dans la dentelle, soit  : « Quebec’s quest for monolingual domination makes healthcare less accessible ». 

Cette lettre traçait des liens douteux entre la Loi 10 du gouvernement québécois, une différence de taille de caractères entre l’information en français et celle en anglais sur de nouveaux panneaux à l’Hôpital St. Mary, et la prétendue « quête du Québec pour une domination unilingue ».  Anecdotique et erroné, cet article risque finalement d’alimenter la confusion et l’intolérance au sein de la communauté mcgilloise ; et c’est pourquoi Le Délit ainsi que L’Organisation de la Francophonie à McGill ont décidé d’unir leur voix afin d’apporter quelques nuances qui s’imposent.

La Loi 10 a été adoptée par le gouvernement du Québec en 2015. Littéralement, la  Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales, est le véhicule d’une vaste réforme du système de santé entreprise par le Parti libéral du Québec (PLQ), un parti élu par des majorités écrasantes dans les circonscriptions anglophones telles que Notre-Dame-de-Grâce (NDG), où se trouve l’Hôpital St.-Mary.

Ironiquement, le gouvernement libéral a eu recours au bâillon afin d’adopter la Loi 10. C’est ainsi qu’il a étouffé l’opposition du Parti québécois et de Québec solidaire au démantèlement des agences régionales de santé. Si les communautés anglophones sont préoccupées par la reconfiguration du système de santé, maints francophones le sont aussi. Contrairement à ce que l’article du Tribune prétendait, la désorganisation des services est une conséquence de la Loi 10 ; mais ce n’est certainement pas son objectif.

La communauté anglophone de NDG se trouve néanmoins en bonne posture afin d’exprimer ses inquiétudes, puisque Kathleen Weil, députée de NDG et ministre responsable des relations avec les Québécois d’expression anglaise, sollicite un nouveau mandat dans cette même circonscription. 

Certains représentants des communautés anglophones ont d’ailleurs été invités en commission parlementaire avant que la Loi 10 ne soit adoptée. L’Article 76 reflète l’esprit de ces consultations et stipule que 

« Tout établissement public doit élaborer, dans les centres qu’il indique, un programme d’accès aux services de santé et aux services sociaux en langue anglaise pour les personnes d’expression anglaise (…) » 

Évoquant les modifications apportées à la taille des mots anglais sur certains nouveaux panneaux d’information à l’hôpital St-Mary, l’auteur va jusqu’à affirmer qu’une « loi comme la Loi 10 n’est pas seulement dommageable pour la sécurité des étudiants, mais [qu’]elle tente de s’occuper d’un déclin imaginaire dans la tradition linguistique francophone ». Nous ne pouvons que dénoncer un propos si fallacieux.

En fait, cette prétendue volonté d’utiliser la Loi 10 afin d’éviter le déclin du français ne fut en aucun cas exprimée par quiconque à l’Assemblée Nationale lors des périodes de débats ou de travaux en commission parlementaire. Il est ridicule, voire mensonger, d’écrire que cette loi est mue par une volonté nationale de domination unilingue.

L’auteur de l’article fonde également son analyse de la situation linguistique du Québec sur une étude qui ne la considère que dans une perspective marchande, soit en termes d’offre et de demande (i.e.: en termes de « main d’oeuvre » parlant français et d’employeurs francophones). Un véritable diagnostic de l’état du français au Québec ne peut toutefois  faire abstraction des dimensions historique et culturelle d’une telle question.

Les chiffres que brandit l’auteur lorsqu’il parle du déclin « imaginaire » du français ne sont d’ailleurs pas présentés. Ils sont issus de l’auto-évaluation des citoyens du Québec quant à leur capacité de tenir une conversation en français. Certes intéressants, ces chiffres doivent être relativisés.  Pendant ce temps, la proportion de Québécois dont le français est la langue maternelle et le nombre de québécois qui le parlent à la maison sont tous deux en déclin. Et encore : une étude guidée par l’OCDE suggérait récemment que près de la moitié des Québécois sont des analphabètes fonctionnels. « French is on the rise » — vraiment ?

Si l’auteur de cette lettre se sent sincèrement concerné par le respect et le dynamisme de la culture linguistique québécoise — tel qu’il prétend l’être —, alors il devrait méditer plus longuement sur le sens des mots qu’il emploie. Ces changements de panneaux résultaient de décisions administratives ; et il est certainement malavisé de prétendre qu’il s’agit là d’une quête nationale dont l’objectif est la domination du français.

Les présomptions de ce genre peuvent avoir de dangereuses conséquences puisqu’elles alimentent la confusion ainsi que l’intolérance. N’ayons pas non plus peur d’appeler un chat un chat : cette lettre est non seulement malhonnête, mais elle est également irrespectueuse face aux Québécois qui en font déjà beaucoup pour accommoder les Québécois d’expression anglaise.

En terminant, bien que Montréal soit en effet une ville cosmopolite, elle fait également partie du Québec. Et ici, au Québec, le français n’est pas qu’une simple « tradition linguistique » : c’est notre langue officielle et le socle de notre identité.


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