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Calder, l’inventeur du Mobile

Ingénieur mécanique exubérant, inventeur candide et poète aérien.

Lucile Jourde Moalic | Le Délit

Jusqu’en février, le musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) présentera une rétrospective de l’œuvre d’Alexander Calder, « l’inventeur radical » américain du XXème siècle.On y trouve le portrait haut en couleurs de l’ingénieur, inventeur et poète.

Après des études d’ingénierie, Calder suit la trace de ses parents sculpteurs et se plonge dans le monde de l’art. Il travaille quelques années comme illustrateur pour différents journaux américains avant de déménager à Paris en 1926, au coeur des années folles. Il y restera sept ans, pendant lesquels l’influence d’artistes subversifs comme Aragon, Cocteau, Marcel Duchamps et bien d’autres forgera sa patte révolutionnaire. 

La légèreté comme force

L’artiste est d’abord passionné par le cirque, pour son exceptionnel mariage entre surprise et rigueur, émerveillement et équilibre. Il réalise des maquettes de décors de cirque fonctionnant grâce à des petits moteurs, et en vient à s’intéresser en particulier aux équilibristes. Ils sont la preuve que la légèreté peut naître de la vigueur et que la position statique peut représenter une force, dans le sens physique du terme. Ne pas tomber quand on est poussé par des poids et tiré par la gravité, c’est jouer avec des vecteurs de toutes origines, jongler avec mouvements anonymes et invisibles qui se font le plaisir de nous secouer.

« Les lois physiques de variation entre les événements de la vie », tel est le point de départ de la réflexion de l’artiste. Il tente de modéliser la cohérence du monde, ou son équilibre qui tient d’un « assemblage de plans d’architectures ». Avec des fils de fer et beaucoup d’ingéniosité, Calder crée une quatrième dimension de la sculpture. 

Les vents décideront

Ses premières modélisations d’équilibristes au fil de fer jouent d’abord avec la superposition du sujet et du fond par la transparence qui se glisse entre le premier et le deuxième plan. Avec le temps, Calder devient plus ambitieux et son travail plus abstrait. Il crée alors les Mobiles, premières sculptures qui se mettent en mouvement toutes seules. Ils sont balancés par des forces intérieures déterminées par l’équilibre des poids des différentes matières, formes et densités qui les composent, ainsi que par des forces extérieures liées au vent, aux passage des gens… Pour la première fois, on peut découvrir des sculptures qui ont l’air vivantes non par l’imitation de physionomies d’être vivants, mais par la reproduction du mouvement autonome.

« Les vents décideront de chaque danse particulière », commente Jean-Paul Sartre, ébloui par la nature « révolutionnaire » des mobiles. Le mobile est une invention de son temps : l’objet balancé par l’environnement comme les populations bousculées par l’Histoire et l’équilibre qui revient toujours comme la survie des hommes et des femmes que l’on veut croire, après la guerre, infaillibles. Dans l’esthétique aussi, il est le façonnement de matières à l’allure industrielle : le fil de fer et le métal se parent de couleurs primaires, vives et unies et leur légèreté leur donne de l’élégance.

Calder à Montréal

Enfin, le musée met en lumière un double jeu de miroirs entre Alexander Calder et la ville de Montréal. L’artiste a été le contributeur phare de l’Exposition Universelle de 1967 avec son « stabile » de 22 mètres : Les Trois Disques, affectueusement appelé « L’Homme ».  Au cœur de la Guerre Froide, le géant d’acier représente les valeurs humanistes occidentales dont Calder était partisan, à savoir l’harmonie collective par le progrès technique. Offert à la ville de Montréal, il est aujourd’hui au Parc Jean-Drapeau et rappelle le caractère ambitieux, innovateur mais quelque part stable et apaisant de la métropole. 

Finalement, le MBAM offre le portrait poétique d’un génie du XXème siècle. C’est un voyage en suspension sur le fil d’un « inventeur radical », entre les mobiles et leurs ombres qui jouent sur les murs. Toutefois, si l’œuvre de Calder est assurément surprenante et inspirante, l’exposition en elle-même ne paraît pas assez mémorable pour son prix (13$ pour les 13–30 ans). L’œuvre de Calder étant particulièrement conceptuelle, son intérêt semble plus résider dans ses idées que dans les produits finis. 


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