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Qui dit l’urgence ?

Lors du grand débat des chefs de la campagne québécoise, la question de l’environnement a été abordée après plus d’une heure et quart de débat. Comme dans les plateformes des quatre partis majoritaires — Coalition avenir Québec (CAQ), le Parti libéral du Québec (PLQ), le Parti québécois (PQ) et Québec solidaire (QS) — la question environnementale n’était qu’un point des programmes parmi tant d’autres.

Nous reconnaissons que la force des mesures proposées par chacun des partis est très variable. Chez QS, le plan de « transition économique » est solide. Il faut favoriser les circuits courts et les transports en commun, lutter contre l’extractivisme, retirer les voitures à essence d’ici 2050, pénaliser l’obsolescence programmée ou encore « délaisser complètement les emplois liés à l’exploitation et l’exploration pétrolière » (entrevue de Ruba Ghazal, p. 12). Les trois autres partis présentent aussi des mesures relativement concrètes (« Mobilité, s’il-vous-plaît ! », p. 9) pour lutter contre le changement climatique comme le « Grand Déblocage » et l’abrogation de la loi sur les hydrocarbures du PQ, l’accent mis sur l’électricité propre et le « zéro déchet » par la CAQ et la volonté du PLQ de renforcer le programme de biomasse forestière résiduelle, de soutenir la mise en place d’une filière hydrogène et d’instaurer « un fonds innovant pour la transition énergétique » de quinze millions de dollars.

Nous constatons cependant que les quatre partis ont choisi d’axer leur rhétorique sur la possibilité de faire du Québec un territoire plus propre pour les générations à venir grâce à une transition écologique. Pourtant, nombre de chercheur·e·s à travers le monde n’y croient plus et voient comme inéluctable l’effondrement de toutes les courbes, que l’on modifie ou non les variables. Il est admis par beaucoup que la crise écologique est bien trop avancée pour être évitée. 

Ce constat demande alors que l’organisation de la politique soit radicalement modifiée. Il brise les dichotomies traditionnelles d’une part entre la gauche et la droite  (« Le Québec et l’ambiguïté nationale », p.11) et d’autre part entre le réalisme et l’idéalisme. La crise écologique nous empêche de croire que le « réalisme économique » défendu par le PLQ et la CAQ serait opposé à « l’idéalisme » des partis de gauche. Le réalisme ne peut se définir que par la prise en considération profonde de l’urgence dans laquelle nous vivons. 

L’environnement ne peut pas être un point des plateformes puisqu’il conditionne tous les autres. Par exemple, penser l’indépendance du Québec (PQ et QS) et la réduction de l’immigration, mesure phare du CAQ, comme solutions durables aux enjeux actuels revient à oublier le caractère mondial des problèmes qui nous touchent. 

Si les politiques ne disent pas l’urgence, nous serions alors en droit d’espérer que le système éducatif nous y prépare. Cependant, nul ne prévient vraiment celles que l’on appelle les « générations futures » que leur futur dégénère. Pour reprendre les mots de Ruba Ghazal (p. 12), il est urgent « d’institutionnaliser l’éducation à l’environnement ».

Comme nous l’écrivions dans l’éditorial du 4 septembre, l’Université souffre d’un manque cruel de dialogue entre les facultés. Pensons à ces étudiant·e·s en économie qui ne savent parler que de ce qui est considéré la « seule option valable », celle de l’offre et la demande. Pensons encore à ces étudiant·e·s en santé publique qui ne savent pas penser la dissolution du monde et la destruction qui se portera sur nos sociétés. 

Il s’agit donc de comparer le rôle que tient l’éducation dans notre imaginaire à celui qu’elle exerce réellement aujourd’hui. Le sujet de l’effondrement écologique est aussi essentiel qu’il est effacé. L’Université nous transmet les données d’un monde qui n’existe pas, en nous formant à appliquer des modèles qui ne fonctionnent pas. L’enseignement reçu à l’université, cruellement dénué de réalisme, manque au devoir de nous accompagner en dehors d’une enfance où l’on est trop jeune pour saisir la complexité des enjeux de la société dans laquelle nous vivons.

Nous ne pouvons plus croire à l’idée selon laquelle l’éducation supérieure serait censée nous préparer à la vie « active » : on nous apprend plutôt à rester passif et accepter sans sourciller les logiques actuelles jusqu’à l’extinction de notre propre espèce. L’éducation est plutôt, hypocritement s’il en est, l’élevage dont Friedrich Nietzsche faisait la description. Notre éducation élève les humains comme nous élevons notre bétail : selon les caractéristiques que nous désirons. En ce sens, il n’est pas surprenant que le ventre du Capital soit si plein. Tout un système forme des générations entières à un mode de pensée qui n’a d’intérêt que pour lui. Le « génocide environnemental », titrait Serge Fortier dans un article pour Le Devoir. 

L’Université Mcgill se targue d’éduquer une élite libre-penseuse, et des dizaines d’autres suivent la marche circumambulatoire. L’hérésie ne sait se contenir du réel entre autres choses parce qu’elle ne l’habite pas là où il se déclare funestement. Les dizaines de millions de déplacés à venir au Bangladesh n’affectent que de loin le corps étudiant mcgillois. Nos condominiums dans nos grandes capitales redoubleront d’ingéniosité afin de maintenir notre qualité de vie. Il est dit que certaines personnes étudient la manière de protéger le quartier des affaires d’une ville américaine menacée par la montée des eaux. Si nous devions, plein de nos connaissances, vivre l’angoisse de disparaître ou encore la perspective de devoir devenir nous-mêmes migrants, parions qu’un tout autre discours remplacerait notre idéalisme. Au demeurant, notre tellement célébrée libre-pensée est la liberté d’un manque de pensée. 

Comme la politique québécoise, l’éducation semble donc hors-sol : l’une s’occupe à administrer un territoire qui n’existe pas — celui qu’il est encore tant d’adoucir pour les générations à venir — et l’autre à transmettre des connaissances sur un monde utopique.


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