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Les films de la rentrée 2018 !

Inès revient sur We The Animals et BlacKkKlansman.

Capture de We the Animals

We The Animals, fresque brutale et sensible de l’enfance

We The Animals est l’adaptation du roman éponyme de Justin Torres sur l’enfance troublée de Jonah, jeune garçon américain d’origine portoricaine. Dans les années 1980, en pleine zone rurale de l’État de New York, Jonah et ses deux frères aînés Manny et Joel forment un trio inséparable. Les épisodes de violences conjugales poussant le père à disparaître régulièrement et la mère en dépression, les trois frères se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils vont alors devoir se battre pour assurer leur survie au sein d’un foyer instable porté par l’amour si volatile de leurs parents. Jonah, hyper-sensible, va s’extraire de cette violence quotidienne en dessinant chaque nuit, en cachette.

Entre documentaire et animation 

Le réalisateur Jeremiah Zagar offre une sublime et envoûtante fresque de l’enfance. Devant la violence du monde des adultes, Jonah se retrouve obligé de grandir par à‑coups. L’absence parentale va entraîner une libération chez les trois frères, soulignant une certaine « sauvagerie » qui évoluera sans l’intervention d’une quelconque autorité. Le film explore avec poésie l’expérimentation de cette liberté, illustrée par de magnifiques scènes en pleine nature.

We The Animals est le mélange réussi entre la brutalité des scènes similaires à un documentaire, et la grâce des dessins de Jonah qui vont s’animer et devenir des personnages à part entière. La caméra de Zagar vissée sur les visages nous confronte abruptement à l’intimité des personnages. Sans jamais tomber dans le voyeurisme, Zagar nous emmène avec délicatesse dans la complexité de l’apprentissage. L’alternance entre plans panoramiques de la campagne américaine, zooms coup de poing sur les visages et les dessins enfantins de Jonah donne une atmosphère magnétique à l’œuvre. De plus, la rareté de la parole multiplie brillamment l’intensité des expressions et laisse exploser la puissance des émotions.

  

Le refus d’une virilité écrasante

L’un des thèmes majeurs de We The Animals est la découverte par Jonah de son homosexualité. La liberté des trois frères ne va paradoxalement pas inciter Jonah à assumer cette sexualité naissante. Le père portoricain et les deux frères aînés reproduisent en effet une hyper-masculinité par un comportement extrêmement agressif envers leur mère et entre eux. Lors d’une scène particulièrement marquante, Manny et Joel vont boire, fumer et insulter Jonah de « bitch » car il ne se conforme pas aux normes d’une virilité menaçante. Outre la représentation de cette masculinité oppressante, ce film est aussi l’histoire du détachement de Jonah vis-à-vis de cette dernière.  Par le dessin et l’écriture, Jonah se construit un monde onirique puissant selon ses fantasmes et sa sensibilité.

We The Animals est une véritable pépite cinématographique portée notamment par les performances remarquables de Raúl Castillo et Sheila Vand dans le rôle des parents. En sélection officielle au festival du film de Sundance 2018, le film rappelle Moonlight, Oscar du meilleur film 2017, dans son approche violente et pourtant poétique de la sexualité queer. En route vers la statuette ?

 

BlacKkKlansman : Nouveau coup de génie pour Spike Lee

Affiche officielle du film

Colorado Springs, États-Unis, 1978. Ron Stallworth, policier afro-américain, se fait passer pour un suprémaciste blanc et réussit à infiltrer le Ku Klux Klan.

Aussi hallucinant que cela puisse paraître, BlacKkKlansman est l’adaptation par le réalisateur Spike Lee d’une histoire vraie ! Pendant plusieurs mois, Stallworth va être en contact téléphonique avec l’organisation raciste et lors des rencontres en personne, Flip Zimmerman, un collègue policier blanc prendra sa place. En plus d’afficher une haine anti-noire, le KKK est notoirement antisémite, et le double blanc de Stallworth est juif. Se joue alors une gigantesque farce où un Afro-américain et un juif vont réussir à s’imposer au sein même de l’organisation qui les méprise.

Une comédie jouissive

« Que Dieu bénisse l’Amérique blanche ! » Dans la bouche de l’Afro-américain Ron Stallworth, la formule annonce d’emblée l’ampleur du grotesque qui va se dérouler. Les propos racistes et antisémites sont poussés à un tel extrême que le film atteint les sommets de l’irrationnel et de la drolatique absurdité. Particulièrement marquante est la conversation téléphonique entre Ron Stallworth et David Duke, leader du KKK, pendant laquelle ce dernier affirme être certain de parler avec un blanc car Stallworth prononce correctement ses phrases. L’acteur interprétant ce dernier, John David Washington, le fils de Denzel Washington, offre ici une performance absolument hilarante sur le « parler noir ».

Une claque magistrale, révélant un passé qui n’est pas mort, ni même passé.

La stupidité de la haine est tournée en ridicule, jusque dans l’intimité des suprémacistes blancs où l’une des épouses remercie son mari d’avoir donné un sens à sa vie en haïssant les noirs.

BlacKkKlansman est un film que l’on pourrait qualifier de « pop » : situé dans la fin des années 1970, Spike Lee ne se prive pas de magnifiques scènes louant la musique et l’esthétique gospel et disco afro-américaine. La célébration de la culture noire américaine passe aussi par une bande-son ponctuée de pépites du registre soul telles que James Brown, The Temptations, ainsi qu’une chanson inédite de Prince.

Dangereusement actuel

Le cadre des années 1970 nous ferait presque oublier les enjeux très actuels des tensions raciales aux États-Unis. Néanmoins, Spike Lee ancre son œuvre sur des vérités historiques avec des images de Naissance d’une nation de 1915 ; film ayant relancé la popularité du Ku Klux Klan et justifié le lynchage d’afro-américains. Les liens avec l’Amérique contemporaine sont aussi omniprésents. Un dialogue entre Ron Stallworth et un policier blanc sur l’impossibilité d’élire un président suprémaciste blanc provoque un rire nerveux dans la salle… Ainsi Spike Lee n’hésite pas à inclure dans son film les images bien réelles des protestations de néo-nazis et nationalistes blancs à Charlottesville en 2017, ainsi qu’un discours de Trump, le désignant clairement comme élément catalyseur des violences racistes. Le réalisateur rend également hommage à Heather Heyer qui perdra la vie lors de ces protestations, avec la phrase « Rest In Power » à la place de « Rest In Peace ». C’est précisément cette notion d’émancipation des opprimés qui est au centre des questions soulevées par Spike Lee. Il interroge brillamment la conception de l’identité, notamment lorsque le double blanc de Stallworth avoue ne jamais s’être posé la question de ce que signifiait être juif avant d’être confronté à l’antisémitisme.

L’ennui, c’est que le film sera probablement vu par des personnes déjà majoritairement favorables à la vision de Spike Lee. Tourner en ridicule les suprémacistes blancs antisémites pourrait discréditer une menace pourtant bien réelle. Quoiqu’il en soit, ce film demeure une claque magistrale, révélant un passé qui n’est pas mort, ni même passé. Qui est présent.


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