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Démystifier l’école philosophique

Une introduction à la nouvelle section Philosophie.

Luce Engérant | Le Délit

Ne jamais perdre à l’esprit la formule latine primum vivere deinde philosophari (vivre d’abord, puis philosopher). Quoique la dernière partie entraîne une meilleure condition de la première, il n’est jamais trop pertinent de rappeler que l’action précède le fastidieux exercice de la contemplation ou encore celui de la méditation. Pour autant, la philosophie, lorsqu’elle procède d’un art de vivre, s’enseigne et peut améliorer nos vies. Il ne faudrait donc pas nous arrêter à une caricature sans cesse renouvelée du travail philosophique. Arthur Schopenhauer, dans sa célèbre critique de la philosophie universitaire, se targuait de dire que « seule la lumière qu’on a allumée pour soi-même peut éclairer ensuite les autres ». Cette nouvelle section du Délit envisage les choses de cette manière. 

Primum vivere deinde philosophari. Se rappeler la pensée de différents philosophes, de manière à réactualiser certains thèmes qui leur étaient chers, s’inscrit en cela dans un effort d’éclaircissement. Les philosophies qui nous intéressent sont celles de femmes et d’hommes qui ont cru bon penser pour eux afin de penser pour tous, ou encore celles qui, selon la maxime de Sénèque, ont vécu pour autrui afin de vivre pour eux-mêmes. Tout cela dans l’optique de vivre et rien d’autre.

C’est pourquoi cette section « Philosophie » ne s’adresse pas exclusivement aux étudiants en philosophie. Nous ne le dirons jamais assez : notre effort n’aspire qu’à inviter au décloisonnement d’un domaine trop souvent critiqué et si peu transformé. 

Essentiellement, cette section s’efforce de proposer des ouvertures, voire de légères introductions, à des pensées qui n’auraient peut-être jamais fait leur entrée dans des vies qui pourtant pourraient y recourir. Cette section et son éditeur sont donc les porteurs d’un programme et ne s’en cachent pas : il faut s’intéresser à la chose philosophique pour la raison que l’on ne peut en faire l’économie qu’au danger d’ignorer les saines limites du monde. La philosophie, loin de ses gros et parfois rebutants mots (ontologie, métaphysique, esthétique,  éthique, morale, logique), plus loin encore de ses philosophies volontairement obscures, renseigne sur le sens des limites, cette vertu maîtresse à toute existence et à toutes les communautés.

Pour mener à bien ce programme, la section met à la disposition des contributrices et contributeurs quatre chroniques. Disons. 

Entrevue

À propos de cette chronique, peu de choses sont à mentionner. Les entrevues de la section « Philosophie » ont pour particularité d’être faites avec des spécialistes de la chose  philosophique. Loin d’être pédantes, elles invitent à connaître la pensée de philosophes du Québec et à comprendre les dimensions de la recherche philosophique contemporaine. Plus précises dans leurs sujets, elles visent à ponctuellement pousser d’un cran la complexité de questions qui ne sont pas si simples, mais demandent souvent à être explicitées, tel que savait merveilleusement le faire un philosophe comme Henri Bergson. 

Mythologie

Les philosophies qui nous intéressent sont celles de femmes et d’hommes qui ont cru bon penser pour eux afin de penser pour tous

La mythologie, ce poignard assassin de la section. Petit manuel d’instruction. L’écriture d’une mythologie relève d’une certaine méthode visant à lire le réel à partir du langage qui le déforme. Tout mot étant déjà, d’une certaine façon, un symbole représentant un objet, une idée, un état, etc., les mythes apparaissent tel un métalangage, c’est-à-dire un second sens superposé par-dessus le langage originel. Barthes l’exemplifie de la façon suivante : dans un livre de grammaire, la phrase « Les pommes que j’ai mangées étaient rouges.» a un sens littéral, faisant ici référence à la rougeur des pommes. Pour autant, la véritable signification de la phrase est plutôt : « Je suis un exemple d’accord de participe passé avec avoir.» La phrase est vidée de son sens originel afin de signifier autre chose, et ce de façon intentionnée.

Quelle analyse en tirer ? Barthes distingue plusieurs étapes afin de démythifier le mythe. Il convient d’abord de défaire la signification du mythe, de comprendre l’imposture et la déformation du réel par le langage (un peu à la manière du philosophe  Alain Deneault dans Gouvernance), puis à comprendre la manière dont le mythe est vécu en société jusqu’à finalement devenir « naturel » ou « allant de soi ». La mythologie tire une part significative de sa force et aussi de l’efficacité de son emploi de la croyance du vrai que l’on peut en avoir. Ceux pour qui la mythologie occupe et organise le quotidien n’entendent évidemment pas la mythologie comme nous pouvons l’entendre dans toute sa particularité barthienne, c’est-à-dire d’être une symbolique performative ; pour ceux chez qui la mythologie règne, elle porte le nom de vérité. Nul masque, nulle nuance : la mythologie est un paramètre du monde cru-pour-vrai. Par exemple, la  méritocratie : existe-t-il réellement une telle chose ? Les données probantes nous amènent à penser le contraire, pourtant subsiste cet incroyable autocar de campagne électorale sur lequel figure cette promesse : « travaillez si fort que vous ne pourrez qu’atteindre vos buts ». De quoi rêver.

Dans la mythologie Le monde où l’on catche, Barthes montre que le catch recèle en réalité une dimension mythique : il y a des catcheurs Héros, des catcheurs Vilains, une Victoire, une Défaite, une Justice. Barthes met l’accent sur la nature excessive du spectacle du catch, le comparant à une véritable Comédie humaine. Bien entendu, les spectateurs savent qu’il s’agit d’un spectacle…ou plutôt l’oublient-ils ?

La chronique « Mythologie » vise à appliquer cette méthode à la société contemporaine, à la politique, à la publicité, au quotidien banal (entre autres) afin d’en déceler les idéologies aliénantes. Le génie de cette méthode tient justement du fait qu’elle s’applique à toutes les parcelles du discours public pour en dévoiler les mécanismes, et donc la performativité à partir de laquelle les mythes interagissent avec la psyché populaire, les habitudes, les traditions, etc. 

Portrait de philosophe

Petit favori de votre éditeur, le portrait de philosophe est l’arme de pointe de la vulgarisation philosophique. Le portrait peut avoir quelque chose d’assez large. Certaines personnes préfèreront décrire l’aspect technique d’une partie de sa pensée à des fins pratiques, tandis que d’autres préfèreront appliquer l’un des aspects particuliers d’une pensée à une problématique bien contemporaine. Le portrait est un exercice excitant en cela qu’il est le partage d’un monde que l’on a d’abord découvert pour soi-même. La lecture de Platon vous a marqué d’une manière toute spéciale et a changé votre rapport au discours ? Venez en parler. La philosophie nietzschéenne a su vous ouvrir la compréhension tragique ? Endiablez-nous de votre rapport tous azimuts à la chose. Le portrait est l’ouverture principale vers d’autres horizons. 

Prose d’idée

La prose d’idée est un genre d’article aux accents plus poétiques. Cette chronique permet d’aborder des sujets de manière plus ouverte. Elle est un exercice de style pour autant que celui-ci soit performatif. Le style n’est rien sans les effets qu’ils suscitent. La prose d’idée procède d’un rythme, d’une marche ; elle entend, lorsque réussie, créer une sympathie compréhensive des lecteurs à son objet.

La structure libre offre à l’autrice ou à l’auteur le cadre libéré propre à une pensée qui ne saurait se contenter du droit au but. Parfois, l’objet que nous avons à penser demande à ce que l’on sache se mettre à sa hauteur ; les méthodes conventionnelles d’écriture manquent parfois en cela. Dans une certaine mesure, les textes de Montaigne, de Nietzsche ou encore de Bachelard peuvent être considérés comme des formes accomplies de proses d’idées. Un texte exploratoire aux carrefours des essais, discours, dialogues, entretiens, ou encore des lettres. 

Suggestions de lecture : 

1- La fin du courage (Cynthia Fleury)

2- Le régime des passions (Clément Rosset)

3- Nous, fils d’Eichmann (Günther Anders)

4- La crise de la culture (Hannah Arendt)

5- Le rire (Bergson)

6- La société du spectacle (Guy Debord)

7- Leçons et conversations (Wittgenstein)

8- Mythologies (Barthes).

9- Le Manuel (Épictète)


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