Aller au contenu

« On est sur cette planète pour créer »

Le Délit s’est entretenu avec Zé Mateo, membre du groupe Chinese Man. 

Leo Berne

Depuis 2004, le trio français Chinese Man mélange les genres, jonglant entre hip-hop, funk, dub, reggae et  jazz. Ils arpentent les routes à  la recherche de l’ivresse de faire danser les foules au son des notes qui résonnent pour eux. Ils sont  en tournée pour le dernier album. Shikantaza, et seront à l’Olympia à Montréal le 3 avril.

Le Délit (LD): Le titre de votre album et la promotion faite autour donnent une impression spirituelle. Mais en l’écoutant, j’ai trouvé une vraie tension dramatique, une certaine violence, des dissonances, quelque chose de très saccadé et moins dansant que d’autres morceaux. Comment expliquerais-tu ce lien ? 

Chinese Man (CM): Je crois que c’est une parenthèse sur le fait de prendre le temps d’écouter les choses, de faire les choses. Ce n’est pas forcément par rapport à la thématique de l’album qui peut être par moment en rapport avec quelque chose de l’ordre d’une proposition plus violente ou plus lumineuse, « darky»… Ce n’est pas forcément par rapport à ça, c’est plus par rapport au fait que nous on prend vachement le temps de faire les choses, parce qu’on a décidé il y a presque quinze ans de monter nos projets, et de le faire d’une manière qui nous ressemble. Et la réalité c’est qu’aujourd’hui, moi-même en tant que producteur solo, je vais faire des morceaux et je vais les sortir assez rapidement. Quand tu es dans un cadre où tu es plusieurs, ça demande du temps, de la patience et ça va un tout petit peu à l’encontre de ce qui se passe maintenant, qui est une sorte de surconsommation permanente de la musique, des objets culturels, et de tout en fait. Ce n’est pas du tout pour être donneur de leçon sur quoi que ce soit, c’est juste qu’on s’est rendu compte que ça nous allait bien de se dire qu’en fait, c’est le moment où il faut se poser, composer, il faut réfléchir et méditer. C’est comme une vague moins rapide.

En termes de propositions culturelles et de conditions pour les artistes, même si ce n’est pas toujours facile pour tout le monde, les Français sont chanceux

LD : Es-tu d’accord avec cette interprétation de l’album, par rapport à la tension dramatique ? 

CM : Je suis à moitié d’accord. On est assez connectés tous les trois… En fait le principe de Chinese Man quand on compose, c’est qu’il faut que le sample qu’on choisit nous fasse écho à tous les trois. Souvent, ce qui fait rejoindre les gens, c’est peut être des notes qui sont assez mineures ou quelque chose qui fait que ça touche un peu à une corde sensible, donc il y a cette tonalité-là qui est dans un côté un peu plus drama. Mais, je ne crois pas que ce soit autant le cas, il y a vraiment des choses assez lumineuses avec des morceaux comme The New Crown. C’est assez varié. Effectivement, un morceau comme Liar est dramatique, mais pour moi il ne sonne pas si dramatique que ça, il touche presque à des choses soul. À mon sens, il y a un peu de tout, c’est varié comme on a toujours fait chez Chinese Man. 

LD : Vous faites beaucoup de collaborations depuis le début. Allez-vous les chercher, ou ce sont des personnes autour de vous ?

CM : Il y a les deux, il y a des gens qu’on rencontre parce qu’on aime bien avoir un lien avec la personne. Il y a un rayonnement quand on fait des tournées et on tourne beaucoup depuis 10 ans, donc on a eu la chance de rencontrer plein de gens qui sont devenus des amis, des artistes avec qui on travaille, comme Tumi, Youthstar, comme Taiwan (MC Taiwan, ndlr). À côté de ça, on a rencontré Kendra Morris, Dillon Cooper, on a eu la chance de faire ces rencontres-là pour travailler ensemble, mais il y a aussi tous les artistes musiciens avec qui on bosse parce qu’il y a pas mal d’arrangeurs aussi avec qui on aime travailler. Les sections cuivres, les sections à cordes, c’est beaucoup de gens et on est très ouverts à ça parce que forcément ça donne un rayonnement supplémentaire à la musique. 

LD : Vous partez beaucoup en tournée autour du monde depuis près de 10 ans. Quelle importance donnez-vous à votre succès sur la scène française ? 

CM : C’est important parce que ça l’est devenu. On a fait les choses pour qu’elles nous fassent du bien. Il y a eu un vrai échange avec le public français, et on fait beaucoup de tournées à l’étranger depuis cinq-six ans. Le public a grandi. Pour moi, il n’y a pas vraiment d’enjeu à vouloir être reconnu par son public. Le gros avantage de la scène française est qu’on a les moyens d’y faire des choses, notamment grâce au grand nombre de festivals et de salles de concert. C’est un énorme avantage par rapport aux autres pays. En termes de propositions culturelles et de conditions pour les artistes, même si ce n’est pas toujours facile pour tout le monde, les Français sont chanceux. Ça fait que le public est « éduqué » à la musique, il y a un réel attachement. C’est une chance que ce public-là nous apprécie et nous suive. 

LD : Comment avez-vous été influencés par l’essor des réseaux sociaux et du streaming depuis 2004 ?

CM : Je pense qu’on a fait partie des personnes chanceuses, puisqu’on a traversé la période de transformation de la consommation de la musique et l’avons vécu comme quelque chose de génial. Par exemple, quand on a fait une publicité pour Mercedes, on avait été repérés sur MySpace, où l’on avait juste posté nos morceaux en se disant que si les gens avaient envie de nous chercher, ils nous trouveraient. Grâce aux transformations, le public a donné naissance à la valeur de ce qu’on fait. S’il n’y avait pas eu Internet, notre projet n’aurait sans doute pas du tout marché de la même manière. L’autre avantage des évolutions est qu’elles nous obligent à nous renouveler en performance, sans toutefois dénaturer notre propos artistique. 

LD : Comment envisages-tu l’avenir du groupe ? 

CM : Pour l’instant, on est encore dans la tournée de Shikantaza, on va notamment venir à Montréal. Après, il y aura encore des échos en 2019. On va se laisser le temps de laisser redescendre tout ça : l’album et la tournée nous ont pris environ 5 ans. Après, on a des idées pour s’oxygéner. Je produis pas mal en solo, un projet va bientôt sortir. On essaie d’être visionnaires sans s’enfermer dans nos projets.

Je pense que l’humain est fait pour la création : on est sur cette planète uniquement pour créer

LD : Aurais-tu des conseils, de grand-frère, que tu aurais aimé connaître avant de te lancer ? 

CM : Oui, du point de vue de la création. Par moments, on a peur de créer des choses, et se limiter crée des frustrations. Je pense que l’humain est fait pour la création : on est sur cette planète uniquement pour créer. Prendre son temps est important, mais il ne faut pas rester dans la retenue en accordant trop d’importance au regard d’autrui. Je crois que plus tu te sens aligné avec ce que tu fais, plus tu te sens bien, et plus ça fait du bien à la planète. Il ne faut pas mettre le pouvoir à l’extérieur, mais vraiment se concentrer sur son propre contenu. 

Aussi, par rapport aux projets collectifs, je pense qu’il est important de prendre le temps de définir et redéfinir le but et les valeurs des projets. Plus tu définis ça bien, plus c’est duplicable. Il s’agit d’être capable d’aller écouter ce qui se fait ailleurs tout en tentant de ne pas se travestir. 


Articles en lien