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Le genre comme performance

Queerness et théâtre : Émilie nous parle de son vécu.

Olivia du Vergier

Avec une honnêteté et une certaine clairvoyance, Émilie m’a raconté un bout de son histoire, de son enfance, de coming out, de théâtre et de guérison en tant que personne queer. Ses paroles et ses pensées articulées et uniques montrent un besoin plus général  de mettre des mots sur des expériences pour se comprendre et se trouver. 

La soudaine compréhension

Quand on devient prêt, quand il faut s’accepter, parce que ça ne peut plus continuer, c’est une vague d’informations et d’émotions qui nous emporte. Tout d’un coup on comprend. Émilie réalise pourquoi iel (son pronom, ndlr) était mal à l’aise quand on la traitait comme une femme. Émilie connaît la raison et la pesanteur de la honte dans laquelle iel vivait. Une vingtaine d’années de frustration et d’incompréhension s’éclaircissent, prennent un sens, puis commencent à la libérer.

Une telle libération ne se fait pas sans violence. Il y a l’impression de s’être fait voler son enfance, la compréhension de la nature abusive de sa relation avec sa mère, le manque de repères. Pour guérir et pouvoir se revendiquer, Émilie a vécu une période intense et un épisode de dépression que beaucoup de personnes queer endurent. Pourtant, Émilie ne porte pas de chagrin ni de douleur. Alors très proche de ses émotions, un sourire est la plupart du temps dessiné sur ses lèvres. Comment affronter et se remettre, s’il est possible de le faire, de cette ultime épreuve qu’est l’acceptation de soi ? 

Le théâtre comme guérison

Émilie a trouvé à Montréal le contexte rassurant dont iel avait besoin. Iel y étudie le théâtre, sa passion de toujours, et a utilisé cet art comme moyen de renouer avec son identité. La volonté de retrouver son enfance fit naître un alter ego : un enfant d’abord androgyne, puis qui s’est avéré être un petit garçon, petit Pierre. Petit Pierre, c’est d’abord la part de masculinité qu’on a empêché à Émilie d’explorer enfant. C’est le garçon qui voulait faire du foot mais qui ne pouvait pas. C’est le garçon qui était dégoûté du rose. C’est une part d’Émilie, mais aussi un élément de son univers théâtral. Émilie a son masque, joue parfois avec, et l’utilise pour représenter un genre qu’on lui a nié. Voir le genre comme une performance, c’est réaliser la liberté qu’on a d’être et d’incarner qui on veut, c’est refuser l’absurdité et la superficialité des termes qu’on s’impose.

Le théâtre est devenu sa zone d’exploration personnelle alors qu’avant, le fait de se voir attribuer des rôles de femmes caricaturaux la frustrait et l’étouffait. Ici, Émilie se sent en sécurité, et jouit de la communauté artistique queer montréalaise. Iel peut explorer son art, utiliser son expérience et aspire à porter un message dans ses travaux.  Ce que m’a raconté Émilie, la honte, puis la douleur et la beauté d’apprendre à s’aimer, beaucoup d’autres personnes queer auraient pu me le raconter. Ses paroles personnelles et uniques viennent compléter à leur tour la fresque de communautés diverses qui essaient perpétuellement de s’aimer et de guérir. 


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