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Où les vies se consument

Plonger dans l’absurde, aux côtés de personnages englués dans leur destin familial.

Julie Artacho

La salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui paraît presque trop chargée, encombrée par un décor qui, à peine assis, nous interroge. Au fond, un rideau en papier brillant nous éblouit. Par terre, un immense dispositif floral occupe l’espace. En haut, des nuages de coton lumineux sont suspendus au plafond.

Trois éléments d’un décor irréel viennent accueillir les trois premiers personnages de la pièce. Des triplées, plongées dans leur solitude chacune à un étage de leur triplex. Claudine assiste aux premiers mots de son enfant, prophétie annonciatrice d’une mort par le feu. Claudie cuisine des biscuits « qui goûtent le cul » et ment à son thérapeute pour passer le temps. Claudette accouche d’un bébé qu’elle met dans une boîte et l’envoie par la poste pour lui donner une vie meilleure.

Chacune dénonce la folie de ses sœurs, et toutes scandent la phrase préférée de leur mère « j’aurais du mettre un stérilet ».

Prendre le risque de l’absurde

Claudine met son enfant dans une cage et la salle rit. Claudie explique la fois où elle a voulu se suicider en mettant du poison dans ses biscuits et la salle rit. Claudette raconte comment elle a passé neuf mois cloîtrée dans son appartement et la salle rit. Le texte de David Paquet, original et incisif est un fil tendu entre une cruauté froide et une humanité saillante. 

La mise en scène remarquable de Philippe Cyr permet à ce monde cruellement vrai, à la fois parfaitement absurde et cohérent, d’exister entre les murs étroits de la salle. Les nuages, les fleurs et le rideau font sens puisqu’ils accueillent ces trois sœurs, qui se disent complètement folles mais dont la solitude et l’humour ramènent à des émotions douloureusement banales et familières. 

Triptyque familial

Trois fois trois. Bientôt, Claudine, Claudie et Claudette sont remplacées par Claire et Clément, deux êtres asociaux qui multiplient les rendez-vous au cinéma et amusent de leur maladresse. Enfin, Caroline prend place sur l’énorme monticule de fleurs pour nous livrer un monologue en apothéose narrant son fantasme pour les tueurs en série. 

Les trois scènes de la pièce s’entremêlent et se répondent. Elles se rejoignent pour former un tout, une réflexion criante de vérité, presque douloureuse, sur la complexité des relations familiales et leur enracinement dans les tragédies individuelles vécues par les personnages. Le Brasier, texte riche et pertinent, interprété par des acteur·ice·s impressionnant·e·s de maîtrise, pose le doigt sur le nœud de la solitude et de la dépression, et dessine un cercle pour remonter aux origines de sa propre absurdité. 

« J’aurais du mettre un stérilet », dit la mère des  triplées. A la lumière de cette phrase, ni le décor, ni les personnages, ni le texte ne nous paraissent plus absurdes. C’est toute la force d’une pièce qui nous déconcerte de par sa cruauté, puis nous emporte de par son humour et sa profonde humanité. 


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