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Révolution d’un art désuet

Comment l’artiste Kent Monkman réinvente un art empreint de stéréotypes sur les autochtones. 

Kent Monkman

L’artiste canadien descendant des Cris, Kent Monkman, a une fois de plus confirmé sa renommée lors d’une conférence survolant sa carrière, au Musée des beaux-arts de Montréal l’automne dernier. Il y a expliqué comment il réintroduit les canons de l’art académicien des grands maîtres du dix-neuvième siècle, tout en tentant de déconstruire les stéréotypes liés aux peuples autochtones d’Amérique du Nord. Ainsi, les thèmes de la colonisation, du genre et de la sexualité sont traités de façon innovante en renouvelant ce genre pictural souvent associé à l’idéologie patriarcale, blanche et bourgeoise. 

La réorientation d’un artiste

En quête de sa propre identité d’artiste, Kent Monkman entame sa carrière en peignant des tableaux abstraits. Ceux-ci, contenant des écritures Cris, font référence à ses ancêtres autochtones. Pendant la conférence, l’artiste a souligné le manque de compréhension dû au niveau d’abstraction élevé de ces premières œuvres ou sur des œuvres jugées comme trop peu élaborées à cause du niveau de minimalisme. L’artiste a donc voulu rejoindre un plus vaste public et faire sa propre marque dans un milieu artistique très compétitif, tout en étant fidèle à lui-même. Relevant que l’enjeu principal   entre les colonisateurs et les autochtones est le territoire, il décide de changer de style en reprenant la peinture de paysages pratiquée à la façon des artistes académiciens du dix-neuvième siècle. Ce genre, considéré comme noble, était alors réalisé par une élite de peintres, presque tous des hommes blancs au statut social élevé, qui obéissaient aux règles très strictes qui régulaient la façon « appropriée » d’exécuter des œuvres. Ainsi, c’est avec ironie qu’il utilise ces canons stricts en contraste avec des mises en scène tantôt farfelues, tantôt poignantes.

Renouer avec un courant désuet

En utilisant le genre qui stigmatisait ses ancêtres, Kent Monkman veut déconstruire ces stéréotypes longtemps perpétués. Ce genre remonte à une époque où la notion de race humaine est créée en Occident pour discriminer « l’autre » afin d’assurer la supériorité des Occidentaux. Il suffit de penser à Karl von Linné qui a attribué le concept de race à l’humain avec une hiérarchie qui aura justifié la traite d’esclaves.  Dans la deuxième partie du dix-neuvième siècle, après les ravages de la Guerre civile des États-Unis d’Amérique, le motif est d’inciter les pionniers à prendre la route de l’Ouest pour l’expansion du territoire conquis afin d’assurer l’occupation du territoire avec l’homogénéité d’une nouvelle nation. Même si les tableaux de paysages grandioses de l’Amérique au dix-neuvième siècle peuvent nous sembler innocents au premier coup d’œil, ils contiennent pourtant des messages subliminaux plus sombres lorsqu’on s’y attarde. En effet, les peintres Occidentaux dépeignent une nature vierge qui n’attend que de se faire coloniser par les nouveaux occupants. Les pionniers sont représentés comme des héros de la nation qui domptent la nature pour un avenir meilleur. Par contre, les autochtones sont souvent absents. S’ils sont représentés, ils sont souvent dépeints comme des sauvages primitifs qui suscitent la peur afin de justifier la supériorité que se donne les Occidentaux.  Le tableau Immigrants traversant les plaines (1867), en bas de page,  d’Albert Bierstadt dans l’exposition Il était une fois… le Western au Musée des beaux-arts de Montréal, semblable dans la forme aux œuvres de Monkman, illustre bien cette idée de propagande. En effet, on est d’abord obnubilés par la beauté de la scène avec le soleil qui répand sa lumière avec splendeur sur le paysage où des pionniers bravent les dangers de ce territoire, évoqués par les ossements qu’on aperçoit au premier plan. Lorsqu’on s’y attarde, on aperçoit ensuite en dernier plan des tipis qui désignent le territoire occupé qu’ils s’approprient de force. En bref, ces tableaux sont l’objet d’une propagande qui cherche à légitimer la présence des colonisateurs qui s’approprient un territoire et qui se donnent le rôle de sauveur.

Immigrants traversant les plaines Albert Bierstadt

Le retour du troisième genre

L’artiste traite de la notion de genre dans ses œuvres avec des personnages qui s’émancipent de la binarité, ce qui crée une dichotomie avec un genre pictural très conservateur.  Afin d’assurer leurs ascendances, les nouveaux arrivants Occidentaux décident d’assimiler les autochtones avec l’aide de l’Église catholique. Survient alors un conflit qui ébranle la base des convictions chrétiennes. En effet, le problème réside dans le fait que de nombreux peuples natifs ont un troisième genre. Pour déconstruire le stéréotype de la binarité du genre, strictement féminin ou masculin, l’artiste crée une allégorie du troisième genre autochtone avec sa personnification de lui-même en Miss Chief Eagle Testickle qui est souvent présente dans ses œuvres. On reconnaît le personnage avec son corps viril perché sur des souliers à talons hauts, portant une tenue légère de couleur rose et arborant parfois la coiffe plumée amérindienne. Outre cette allégorie, Monkman représente souvent des corps d’hommes aux parties génitales féminines et inversement. L’orientation sexuelle est aussi un thème omniprésent. On aperçoit parfois des scène érotiques homosexuelles souvent personnifiées avec l’«Indien » et le « Cowboy » faisant écho à la colonisation avec le rapport du dominant et du dominé. Celui qui a fait sa renommée avec son genre nouveau, continue de développer son style unique avec des peintures, des dessins, des installations, des films et des performances. Devenues populaires, ses peintures dépeignent des personnages historiques dans une mise en scène absurde qui sont tous réunis dans un même lieu. Il est parvenu à renouveler l’art d’un temps révolu en rétablissant les faussetés générées par des stéréotypes longtemps véhiculés, le tout en traitant des sujets encore d’actualité. L’équipe vous recommande donc de découvrir cet artiste surprenant. 


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