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Métissages invisibles

Une identité et des origines plurielles à réconcilier.

Béatrice Malleret | Le Délit

Une perspective philosophique

Le droit du sol ou le droit du sang sont dans la plupart des états modernes ce qui qualifie administrativement une nationalité, parmi d’autres variables. Vivre quelque part, c’est y appartenir, mais plus encore, y grandir, c’est être pénétré par la culture de cet endroit. Cependant culture et origine ne sont pas des concepts semblables.

Les minorités en savent quelque chose : la question identitaire est omniprésente chez les fils et filles d’immigrés. C’est le cas de la seconde génération d’immigrés maghrébins en France, qui ont grandi dans un contexte particulier, pétris par l’école républicaine française, bien que descendants d’une culture orientale millénaire. La culture semble cependant ne pas pouvoir empiéter sur l’origine, cette dernière se pratiquant dans un cercle familial restreint, tandis que la culture appartient au domaine public. 

Néanmoins, que se passe-t-il lorsque la culture publique outrepasse l’origine — passée aux oubliettes — et ne correspond pas à ce que nos parents voulaient pour nous ? Que se passe-t-il lorsqu’on ne différencie plus ce qui nous appartient de ce qui nous a été appris ? En d’autres termes, comment se construire lorsqu’on vient d’une union métissée passée sous silence ?

Une perspective culturelle 

À la question « d’où viens-tu ? », la réponse s’avère être un problème pour beaucoup : ceux aux cultures doubles, quadruples, en conflit, en chevauchement, ou même en rejet.Cependant, cette question est particulièrement délicate, pour les autres ou soi-même, lorsqu’elle est rarement posée. L’origine peut être assimilée à l’endroit où l’on est né, où l’on a grandi, d’où viennent nos parents et familles étendues. Souvent on la remarque, ou du moins on pense la remarquer car elle correspond à des codes qui lui sont propres, comme des signes extérieurs : la façon de se vêtir, de parler, ou le physique, avec le fameux « délit de faciès ». La couleur de peau ou les attributs physiques différents sont souvent à la source des questionnements liés à l’origine.

Généralement, s’identifier à telle ou telle communauté revient à en porter le fardeau, et/ou à profiter des avantages que cette identité sous-entend. Il est, par exemple, plutôt original d’être d’origine allemande au Chili. On a en effet plus tendance à écouter les témoignages de personnes d’origines différentes, voire parfois hors du commun. Mais il est aussi difficile d’assumer les préjugés et discriminations liés à cette identité.

« Comment était-il possible pour moi d’intérioriser et de revendiquer une culture qui ne faisait pas partie de mon identité, fût-elle sociale ou physique ? »

Témoignage : s’identifier, est-ce assumer une identité ?

Ainsi, l’on se rend compte qu’il est difficile d’assumer socialement une identité dont on n’a ni les avantages, ni les inconvénients. Je pense pouvoir passer pour quelqu’un de « blanc », alors que j’ai deux origines : l’une française, et l’autre arabe, dont une difficile à porter dans le contexte actuel, et ce particulièrement en Occident.On me pose rarement la question de mon origine. La plupart des gens présument que je suis uniquement d’origine française. J’ai en effet physiquement beaucoup pris du côté français depuis des générations, de ma famille. 

Toutefois, ma mère est née au Koweït, pays de la péninsule arabe. Elle est par la suite devenue française. Je n’ai ainsi pas vraiment hérité de sa culture sur le plan physique, ni de son identité d’origine dans mon éducation intellectuelle. 

Élevée dans la banlieue parisienne et dans le même milieu depuis mon enfance, j’ai longtemps fréquenté le même type de personnes. J’ai également été davantage influencée par les valeurs du milieu où j’ai évolué et par l’établissement privé catholique que j’ai fréquenté durant toute ma scolarité. Beaucoup de personnes dans mon entourage ne se sont jamais posées de question sur mes origines. Pour eux, je ne pouvais être autre chose que française. Cela découle de mon choix d’avoir évité de revendiquer ou d’afficher cette identité. Au delà d’une dissimulation, il s’agissait peut-être aussi d’un certain déni. Personne ne me ressemblait vraiment, bien que j’ai connu une minorité de cas similaires au mien : des personnes métisses, ou ayant grandi autre part. Je n’ai jamais parlé, de façon positive, de la culture de ma mère, ni de sa religion « d’origine ». Cela est sûrement du au fait que j’ai été élevée sans suivre aucun standard culturel traditionnel. Ni français, ni arabe : nos parents voulaient leurs enfants « citoyens du monde ». 

Une réconciliation philosophique et culturelle de l’identité

L’importance d’une communauté, c’est pourtant aussi cela : donner un fondement à nos croyances, nos opinions, et orientations politiques, fussent-elles bonnes ou non. Du moins, c’est de cela dont nous parlons ici. Dans mon cas, ce fondement n’existait pas, ou n’était que peu stable, dû au fait qu’on ne m’ait jamais familiarisé avec quelque origine que ce soit. Pouvais-je revendiquer les standards français comme étant les miens ? Il me semblait toujours manquer de légitimité. Les codes culturels et sociaux orientaux ne me convenaient cependant pas non plus, car je n’en savais, et n’en sait toujours, après tout, rien, à part l’étiquette que lui donnait la société. De fait, comment était-il possible pour moi d’intérioriser et de revendiquer une culture qui ne faisait pas partie de mon identité, fût-elle sociale ou physique ?

Le physique et le non-dit comptent beaucoup dans le repérage de pairs. Je ne me suis jamais sentie faire partie d’un groupe communautaire, ou légitime, lorsque j’étais exclusivement entourée de Français appartenant au modèle « chrétien-conservateur » qui avaient tous le même schéma de vie, qui n’était pas le mien. À savoir, des grands-parents en Bretagne, une maison en Normandie, des repas de famille le dimanche, des fêtes et diners chez des amis éloignés de la famille. Je n’avais pas cela, ni de repères valides pour socialiser en leur nom. 

Je me souviens que je n’arrivais pas à me classer lorsque j’apprenais le schéma bourdieusien des classes et pratiques sociales, ce en prépa Sciences Po, royaume de ces jeunes de CSP+ franco-françaises, chrétiennes et conservatrices. Être inclassable, inidentifiable, c’est ce que j’ai personnellement ressenti une grande partie de ma vie en France. Cependant, en partant pour le Québec et en rencontrant des personnes d’origines diverses et variées, grâce aux taux de mixité hors du commun à McGill, j’ai remis en perspective ma situation. J’ai compris que beaucoup de gens de mon âge avaient souvent des situations plus complexes. Certains vivaient au quotidien le fait d’être une minorité visible dans leur pays d’origine, à souffrir du racisme latent. Je me suis dit que j’avais de la chance. De la chance parce que je n’ai jamais eu à faire face à des discriminations pour une identité que je n’ai toutefois jamais réclamée. On ne choisit pas sa famille dit-on, mais j’ai découvert que l’on pouvait décider de qui l’on voulait être. 


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