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FROID : la nation, source de sens

Au théâtre Prospero, le nationalisme brûle la bienséance et glace le sang.

Cath Langlois

Jusqu’au 4 novembre 2017, la salle « intime » du Théâtre Prospero n’aura jamais aussi bien porté son nom.  Froid, écrite par le dramaturge suédois Lars Norén et mise en scène par Olivier Lépine, rapproche ses spectateurs de la froideur violente du nationalisme suédois et les confronte aux pensées les plus intimes de ses défenseurs. 

Dans l’obscurité de la salle étroite, une danse macabre, où les personnages valsent avec la mort dans l’ivresse d’une après-midi sans fin.

Combattre l’altérité par l’entre-soi

Le dernier jour de l’année, trois amis se retrouvent au parc dans la torpeur d’une fin d’après-midi. Les bières s’enchaînent et permettent aux langues de se délier : les conversations dérivent très vite vers des questions politiques qui dépassent les trois amis. Ils défendent l’idéal nationaliste et la suprématie de la race blanche corps et âme, sans remettre en cause leurs positions ni les confronter à d’autres opinions. Le spectateur constate au fur et à mesure que la violence de leurs propos peut être, en partie, liée à leur enfance douloureuse et à la difficulté des épreuves dont leur vie a été constituée. Chacun semble puiser dans la xénophobie un rempart contre l’inconsistance et l’impuissance.

Cette violence est décuplée à l’arrivée d’un quatrième personnage, Karl, né en Corée, qui a été adopté par un couple suédois aisé. Incarnant tout ce que ses interlocuteurs rejettent, issu d’un milieu social privilégié et d’origine étrangère, défenseur d’idéaux progressistes, Karl finira par trouver la mort, sous le poids de la haine. 

Récit d’une réalité caricaturale

La pièce nous montre les limites potentielles de la fiction dans la dénonciation des phénomènes sociaux. Le propos est en effet d’une violence glaçante, ponctué d’insultes xénophobes, antisémites et sexistes, rendu avec justesse grâce à un subtil jeu d’acteur. Selon les trois nationalistes suédois, l’immigration est un fléau et l’intégration des étrangers représente un danger absolu pour la pureté du peuple. Quand les mots ne suffisent plus, le corps se fait messager : les coups pleuvent et les saluts nazis abondent, jusqu’au meurtre. Si le personnage de Karl représente l’opportunité du dialogue et du partage d’idées, le manque de communication se fait assourdissant. Dans une cacophonie augmentant au fil de la pièce au même rythme que l’ébriété des personnages, on perd l’espoir que les opinions gagnent en nuance.     

Le portrait est brossé de teintes si sombres qu’il en devient difficile à croire. La violence physique et verbale que s’infligent entre eux les personnages semble être du ressort de la caricature. Cependant, les nombreux documentaires et autres études produites au sujet des groupes nationalistes témoignent de cette violence et de sentiments xénophobes si forts qu’ils rendent le dialogue avec l’altérité presque impensable. Décrire cette réalité, si peu nuancée à travers la fiction, comporte le risque de lui ôter précisément sa réalité, de faire croire que le réel est caricaturé et qu’une telle hostilité n’existe pas. Cependant, le sentiment d’effroi que procure l’intrigue comporte en son sein la possibilité qu’il se transforme en revendication positive et donne l’envie au spectateur de s’intéresser à un monde qui peut lui sembler obscur et lointain.


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