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Bill Viola, artisan du temps

Naissance à rebours, l’exposition du précurseur de l’art vidéo commence le 24 octobre. 

Capucine Lorber | Le Délit

Souvent dans l’art vidéo, la forme est au service du fond. Lorsque Viola découvrit la vidéo dans les années 1970, celle-ci se résumait à filmer des images en noir et blanc sur une caméra aux fonctionnalités restreintes. Faisant fi des idées selon lesquelles la vidéo n’était pas un médium artistique, l’alors élève de l’université de Syracuse s’y consacra entièrement. Ses méthodes de travail évoluèrent rapidement, au rythme des innovations techniques qui lui ouvrirent de nouvelles voies d’expression.

Aujourd’hui, Viola travaille aussi bien avec des monobandes qu’avec le numérique et l’ultra-haute définition. Mais si sa technique ne cesse de se transformer, les thèmes explorés par l’artiste eux, suivent une ligne constante : la conscience – et l’inconscient – humaine, la transcendance, la vie, la mort, et le temps. Viola construit des images surréalistes, des performances musicales et des décors sonores pour créer des environnements où les spectateurs s’immergent entièrement.

L’œuvre Ascension, qui sera présentée à l’exposition à la DHC/ART est représentative de son travail, qui nous englouti dans un monde sombre, presque hermétique.  À l’écran gigantesque, une personne plongeant dans une eau noire brise le silence et la fixité de l’image. Durant 22 minutes, des bulles d’air émanent de cet homme réduit à un corps, dansant autour de lui dans un puits de lumière avant d’aller éclater à la surface. Les sons aquatiques, la lumière bleuâtre, ainsi que la lenteur et la clarté de l’image donnent à cette vidéo un caractère quasi-mystique. Pour celui ou celle qui prend le temps d’observer, cette œuvre offre l’occasion de rentrer en soi-même et d’explorer les tréfonds de son être. 

Viola, façonneur du temps 

Le caractère frappant d’Ascension, et des œuvres de Viola en général, est leur rapport au temps et leur dimension éminemment contemplative. Différentes temporalités sont sans arrêt confrontées et mises sous tension, révélant des aspects de l’humain que nous n’explorons pas d’ordinaire. Grâce au médium de la vidéo, chaque œuvre se déploie dans le temps, elle a un début et une fin marqués. Cette temporalité, quantifiable en heures et en minutes, devient secondaire dans le travail de l’artiste et laisse la place à une autre temporalité que Viola a lui-même défini. En jouant avec le ralenti, composante essentielle de sa technique artistique, il décompose des gestes, des instants, des expressions qui plongent le spectateur dans une dimension autre. Le temps est comme distendu, étiré et altéré. 

Par exemple, il faut 16 minutes pour observer The Quintet of Remembrance (2000), où cinq personnes traversent une série d’émotions que la caméra capture en ultra ralenti. 36 minutes pour saisir le sens des quatre vidéos projetées simultanément dans Going Forth By Day (2002).

Aujourd’hui, on accorde rarement plus de quelques minutes aux activités que l’on entreprend, aux discussions que l’on a. Les œuvres de Bill Viola nous obligent, si l’on veut en apprécier l’ampleur,  à y consacrer le temps nécessaire. Ses vidéos ne sont pas une succession d’images qui préparent à une apothéose finale. C’est le déroulement même qui importe, et les émotions et sensations que celui-ci suscite. Peut-être considérerez-vous que passer trois quarts d’heure à observer une scène aux actions quasi nulles est une perte de temps. Mais le perd-t-on pour ensuite mieux le retrouver et se le réapproprier ? À chacun d’en juger. 


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