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Renaître par la transmission

Retour sur Bashir Lazar, pièce politique teintée d’audace dramaturgique.

Valérie Remise

Assister à une pièce au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui est toujours un voyage qui nous fait voir de nouveaux lieux, tout en nous permettant d’ouvrir de nouveaux yeux.  Bashir Lazar, mise en scène par Sylvain Bélanger et écrite par Evelyne De la Chenelière, ne déroge pas à la règle. Jusqu’au 14 octobre 2017, le Centre nous offre l’occasion de découvrir le parcours sinueux de Bashir Lazhar, réfugié politique arrivé à Montréal en tant que maître d’école remplaçant pour tracer un quotidien plus clair sur le tableau noir de sa vie. Audacieuse, la mise en scène met en lumière  la force du message politique alarmant du texte. 

L’entrelacement de l’acteur et du personnage 

Pendant plus d’une heure, le spectateur observe l’évolution d’un seul comédien : Rabah Aït Ouyahia, incarnant Bashir Lazar. Ce choix scénique est très judicieux : l’expérience du comédien fait écho à celle du personnage qu’il incarne et lui donne, en seconde lecture, une grande crédibilité. 

Rappeur et acteur de cinéma d’origine algérienne, arrivé au Québec à 21 ans, Rabah Aït Ouyahia fait grâce à la pièce ses débuts sur les planches. Ce défi rappelle celui de Bashir : comme un professeur devant sa classe, le comédien doit chercher l’attention du spectateur pour l’emmener là où il souhaite aller et être seul sous les projecteurs. Toutefois, cet entrelacement ne transparaît sensiblement qu’à un second niveau de lecture. En première lecture, l’on peut reprocher au jeu du comédien une certaine monotonie et l’étroitesse de la palette d’émotions qu’il parvient à reproduire avec justesse. 

Cependant, sa difficulté à incarner le personnage souligne la difficulté de ce dernier à incarner le rôle du maître d’école dans un univers qui lui est hostile. En effet, tout au long de la pièce, on constate le rejet que le réfugié politique subit, de la part des autres membres de l’école et des institutions québécoises. 

Puisqu’il est seul sur scène dans un décor simpliste, uniquement composé d’une chaise, on peut s’attacher au personnage et concentrer notre attention sur ses combats et l’évolution de sa situation. Ce choix ôte cependant aux yeux des spectateurs la réalité violente que les interactions du personnage ont pour lui, puisqu’elles ne sont pas reproduites.

Réflexion sur l’immigration et l’éducation.

Décrivant le sort d’un réfugié politique au sein d’une société qui lui est hostile, la pièce souligne la difficulté qu’endurent aujourd’hui de nombreux réfugiés à travers le  monde.

Le spectateur en sait peu sur les conditions du pays d’origine du comédien mais devine l’horreur qu’il a quitté à travers son désir de se reconstruire et d’honorer la mémoire de ceux qu’il a perdus dans les conflits. Si la xénophobie et le racisme dont Bashir souffre au sein de la société québécoise sont largement condamnés, la réaction du personnage offre un message d’espoir. Son étonnement presque naïf face à l’hostilité et l’affectueuse tolérance des élèves pour leur professeur soulignent le caractère absurde et irrationnel du rejet de l’étranger.

Le regard de Bashir permet aussi de remettre en cause le système éducatif québécois. Ainsi, Bashir cherche à offrir à ses élèves un enseignement philosophique en se liant avec eux d’une proximité paternelle et n’hésite pas à parler de sujets tabous comme la violence à l’école. Par-là, le spectateur est invité à poser un regard critique sur la distance professeur-élèves et l’importance du suivi à la lettre des programmes. On voit ici la richesse que constitue l’immigration pour les institutions : devant une culture qui est encore étrangère, le nouvel arrivant interroge le  fondement de ses pratiques.


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