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Entre journalisme et urbanisme

Le Délit a rencontré François Cardinal, éditorialiste en chef à La Presse, et passionné d’urbanisme.

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Chroniqueur à La Presse, journaliste spécialiste des affaires urbaines, municipales et environmentales, François Cardinal a toujours nourri une forte passion à l’égard de la ville de Montréal. Chroniqueur engagé à la Première chaîne de Radio-Canada et lauréat du Prix de la présidence pour les médias et l’architecture de l’Institut royal d’architecture du Canada en 2015, François Cardinal est aussi l’auteur de nombreux livresdont Le Mythe du Québec vert et Perdus sans la nature. Enfin, François Cardinal s’est vu décerner le prix Blanche Lemco van Ginkel, par l’Ordre des urbanistes du Québec pour sa contribution significative lors des débats sur les enjeux urbains. Rencontre avec un journaliste engagé.


Le Délit (LD): Quel lien faites-vous entre le journalisme et l’urbanisme ?

François Cardinal (FC): C’est un lien de vulgarisation. Le journalisme est le canal par lequel un sujet aussi pointu que l’urbanisme peut être compris par le grand public. En soi, le simple mot « urbanisme » ne dit pas grand chose au commun des mortels. Le journaliste, avec des mots qui lui sont propres et qui ne sont pas ceux des urbanistes ou des spécialistes de la chose, doit expliquer ce qu’est la ville, en quoi son développement est important pour chacun, en quoi ça concerne les non-initiés, en quoi ça nous touche au jour le jour, etc. Le journalisme est le meilleur vecteur pour faire comprendre l’urbanisme et son importance.

LD : Est-ce-que c’est un sujet dont on parle assez dans la presse québécoise aujourd’hui ?

FC : Non pas du tout. Contrairement à d’autres pays, il n’y a pas ici de culture d’architecture et d’urbanisme. Il y a un réveil récent d’appétit et d’intérêt pour l’urbanisme et les questions urbaines, mais malheureusement, les journalistes et les médias n’ont parlé de la chose urbaine que par l’entremise de la politique municipale. En regardant l’enjeu par le plus petit côté de la lorgnette, on fait en sorte qu’on n’intéresse pas les lecteurs par le sujet.

Le journalisme est le meilleur vecteur pour faire comprendre l’urbanisme et son importance.

Contrairement aux anglo-saxons, même ici au Québec, on n’a jamais développé cet intérêt pour la chose urbaine. On n’a pas non plus d’intérêt pour la communauté dans le sens anglais du terme, the community. On a malheureusement comme un bras de distance avec ces sujets là. Le résultat en est que très peu de journaux au Québec parlent d’urbanisme.

LD : Est-ce qu’il y a une architecture propre à Montréal ?

FC : Historiquement, oui. Il y a une architecture, si l’on regarde par exemple les triplexes du plateau avec les escaliers à l’extérieur. Il y a une architecture vernaculaire, quand on regarde le vieux Montréal aussi, avec les pierres grises qui sont utilisées dans les vieux bâtiments… Il y a là une architecture typique de Montréal.

Malheureusement, ça s’est perdu en chemin. On a simplement embarqué dans le courant d’architecture et d’urbanisme nord américain au fil des ans, de telle sorte qu’aujourd’hui, à part exception, on ne peut distinguer l’architecture moderne de Montréal de celle des autres villes d’Amérique.

LD : Pourquoi ?

FC : Simplement parce que le Québec, contrairement à ce qu’on aime se faire croire, est davantage nord-américain qu’européen. On est un territoire nord-américain où on parle français. Il y a évidemment des différences culturelles importantes avec le reste du continent, mais pour ce qui est du développement d’infrastructures, de l’urbanisme, d’architecture, nos habitudes de conduite, notre penchant pour la voiture… Tout ça est ancré dans une culture nord-américaine solide. Tout ceux qui prétendent qu’on a un caractère latin se trompent complètement. C’est tout à fait faux.

Notre architecture est un résultat de ce que nous sommes profondément, c’est à dire des nord-américains qui parlons français.

LD : Il y a un an, vous avez écrit  dans une chronique que la ville est sexiste car la majorité du nom des rues étaient masculins, peut-on étendre ça pour dire que la ville n’est pas multiculturelle et ne représente pas ses habitants ?

FC : Je ne veux pas prendre la question de manière trop large, mais si on regarde seulement la toponymie oui c’est vrai qu’il y a tout un pan de la population qui est complètement oublié, les femmes sont sous-représentées dans la toponymie même si on considère que dans le passé, il y a eu des habitudes qui ont fait en sorte que les hommes ont été davantage mis en avant dans la toponymie. Quand on voit aujourd’hui les décisions qui se prennent encore on est loin de réparer cette lacune là. 

Regardez la dernière décision de toponymie de remplacer le nom de Crémazie pour la circonscription avec celui de Maurice Richard. Ce qu’on fait c’est donner un autre nom d’homme pour remplacer un nom d’homme. On n’a pas de volonté collective de redonner de place aux femmes qui ont fait la ville, à Montréal plus qu’ailleurs vu que les deux co-fondateurs de Montréal sont un homme et une femme.

LD : Donc ce qui est important c’est que la ville soit à l’image de ces habitants ?

FC : Oui tout à fait, il faut que la ville soit à l’image de ses citoyens, il faut que la ville soit aussi représentative, qu’adaptée à ses habitants.

LD : Quels sont les défis selon vous pour Montréal dans les années à venir en général ? 

FC : Je pense que le premier défi étant une mobilité, c’est vraiment le talon d’Achille de Montréal la mobilité, voyez juste l’exemple de la tempête de l’autoroute treize. Mais il est évident qu’aujourd’hui le plus grand défi de Montréal est de circuler plus facilement en ville, en auto, on le voit bien mais aussi en transports en commun. 

Le réseau du métro, notamment la ligne orange est saturée aux heures de pointes. Les autobus sont pris dans le trafic car il n’y a pas assez de voies réservées. Le réseau cyclable avance à pas de tortue et les piétons sont mieux servis à Montréal qu’ailleurs en Amérique du Nord mais sont pas encore servis comme ils devraient l’être car il n’y a pas de signalisation lumineuses pour les piétons pour rappeler la priorité dans plus de la moitié des intersections de Montréal. 

Ensuite, il y a évidement plein d’autres défis, le simple fait de s’intéresser d’avantage à l’architecture de mettre de côté les soumissionnaires qui font des dégâts monstres à Montréal, l’architecture scolaire qui fait défaut, il y a plein d’autres défis mais tant que la mobilité on ne s’y attaque pas de manière assez importante, tout le reste va être secondaire.

Le fait de décider que (Montréal) est une ville « refuge » officiellement, c’est surtout un geste symbolique et politique.

LD : Dans ce qui est secondaire, diriez-vous que c’est important d’avoir une ville verte ?

FC : Oui, je pense que oui, mais la ville verte ça peut être une intention, ça peut être un objectif, ça peut être un des critères dans notre réflexion sur la mobilité par exemple, dans notre réflexion sur l’architecture. Mais ce n’est pas un défi en soi. Le défi c’est de profiter des occasions qui vont se présenter dans les prochaines années ou décennies et se faisant de faire de Montréal une ville verte. 

Quand vous choisissez d’améliorer la mobilité en voiture à Montréal, ça ne veut pas simplement dire  rendre plus fluide le déplacement des voitures. Ça veut aussi dire de mettre l’accent sur l’auto-partage, l’auto en libre service et ces compagnies là, de leur donner de plus en plus de place, de plus en plus d’infrastructures pour faire en sorte que les gens changent d’eux-même leurs habitudes de conduite.

LD : Récemment, on a qualifié Montréal de « ville refuge ». Quel est le rôle politique d’une métropole comme Montréal ?

FC : Dans le cas que vous me citez de la « ville refuge », je pense que c’est davantage un geste politique qu’autre chose, puisque Montréal est déjà une ville accueillante. C’est ici que les l’écrasante majorité des immigrants, des demandeurs d’asile ou des réfugiés se retrouvent. Le fait de décider qu’elle est une ville « refuge » officiellement, c’est surtout un geste symbolique et politique.

Il n’en est pas moins important pour autant. C’est en posant ce genre de gestes qu’on en vient à avoir une ville ouverte. Pour moi c’est une confirmation de ce qu’est déjà la ville, mais ça consolide aussi le rôle de ville accueillante et inclusive. 


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