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Âmes Grises sur Fond Blanc

Le Players’ Theater nous fait le récit d’une amitié chauffée à blanc

Players' Theater

50 nuances de blanc

C’est la dernière production en date du Players’ Theater. C’est une histoire. C’est un tableau. C’est « Art », un texte de Yasmina Reza, mis en scène dans sa traduction anglaise par Guillaume Doussin et Ben Mayer-Goodman.

C’est l’histoire de trois amis, Marc(elle), Yvan et Serge, ce dernier ayant acheté une toile. Le tableau est peint de blanc, comme l’amitié qui lie ces trois personnages entre eux au début de la pièce. À mesure que celle-ci avance, alors qu’Yvan et Serge tentent d’interpréter les nuances du tableau que Marc nie en bloc, c’est la dissemblance de leurs amitiés qui fait surface – transformant l’action autour du tableau en un deuxième tableau, que le spectateur contemple.

Le message de la pièce est en effet double. D’une part, il y a l’art, et son interprétation (si interprétation il faut y avoir) et de l’autre, un regard sur l’amitié et ses méandres, entre trois protagonistes qui se rendent compte que l’absence de couleur n’est pas plus sur le tableau blanc que dans les liens qui les unissent. « Art » nous invite à nous questionner sur l’importance que nous attachons à la reconnaissance des autres, à la tendance de voir par le regard d’autrui.

Au commencement était le Verbe…

La disposition scénique est particulièrement bien orchestrée, nous menant d’un point à un autre,  mettant en exergue la différence entre ce que l’un pense, et ce que l’autre dit. Le visuel est d’ailleurs très soigné, avec des costumes qui dépeignent parfaitement les personnages au premier coup d’œil.  Cependant, c’est bien la parole et les mots qui portent la pièce, et lui donnent ses différents aspects. C’est le texte qui anime Serge et Marc, qui passent la plupart de la pièce en joute verbale aigre de sarcasmes. Les acteurs nous délivrent ce texte dans toute sa criarde éloquence. Steven Finley (Serge) incarne et construit son personnage à la perfection, jusque dans les plus infimes mouvements des doigts, la plus subtile fluctuation de voix. Sara Harvey (Marcelle) quant à elle personnifie avec exactitude la témérité et besoin de reconnaissance propres à son rôle.

Toutefois, une trop grande dépendance au texte rend certains passages un peu lassants, n’étant simplement qu’une autre passe verbale acide parmi tant d’autres, peu nécessaire donc. De tels passages alourdissent inutilement la pièce et peuvent faire perdre l’attention du spectateur –là où un silence lourd de tension façon Harold Pinter serait plus bénéfique. Il se pourrait que cela soit dû au fait que la pièce est traduite – traduction éludant donc quelque peu les ornements stylistiques et sarcastiques qui se prêtent si bien au Français –langue originale de la pièce.

Ces moments légèrement trop aigres sont, cependant, adoucis par l’intervention comique d’Yvan, homme drôle malgré lui mais qui se veut amusant. Ce personnage d’ailleurs est moins éloquent, nécessite moins la parole, encore que. Le jeu de l’acteur est donc plus basé sur les affections. La performance de Douglas Clark est époustouflante d’émotions, enchaînant soliloques angoissés et nonchalance facétieuse.

Aigre-douceur

 La pièce n’est donc au final pas aussi comique que l’on pourrait le croire. Certains passages sont véritablement drôles, mais si le rire est fréquent, c’est parce qu’il est souvent aigre, produit du sarcasme et d’une ironie quelque peu dérangeante, révélatrice d’un besoin d’hypocrisie sociale dans chaque amitié. Peut–être n’y a‑t-il de meilleure explication à la pièce que celle que le spectateur tente de percer dans les deux tableaux qui lui sont offerts, celui de Serge, et celui qui se dessine de l’autre côté de la toile. Il vous reste encore le  22, 23 et 24 février pour aller admirer ce tableau. En définitive, « Art » c’est l’histoire d’une querelle entre amis, sur laquelle les personnages tireront un trait, pour pouvoir mieux l’effacer.


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