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Dossier spécial un an de gouvernement Trudeau

Le Délit revient sur quelques points clefs.

Mahaut Engérant | Le Délit

On dit souvent que les élus ont cent jours de grâce après leur élection. Or, ça y est, cela fait un an que Justin Trudeau a été élu le 23e premier ministre du Canada. Pour beaucoup, Trudeau, c’était un nom, un renouveau, un espoir ; en un mot : un phénomène. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le Délit revient sur quelques points clefs de cette première année du gouvernement libéral.

Économie

Il peut sembler un peu tôt pour juger du bilan économique du gouvernement Trudeau. En effet, la politique économique est de ces domaines où les effets mettent du temps à apparaître : la meilleure des réformes ne peut porter ses fruits que longtemps après avoir été mise en place. On peut cependant se demander si les politiques du gouvernement libéral sont alignées sur les promesses de campagne de leur chef. 

Budget et emploi

On s’en souvient, Trudeau avait étonné par l’ampleur de sa politique de relance d’inspiration keynésienne. Il avait en effet doublé sur leur gauche les sociaux-démocrates du Nouveau parti démocratique (NPD) en annonçant qu’il y aurait un déficit budgétaire d’une petite dizaine de milliards de dollars lors de ses premières années au pouvoir avant que l’équilibre financier ne soit rétabli in fine en 2019. Or, en mars dernier, le ministre des finances Bill Morneau annonçait que le déficit sur l’année fiscale 2016 s’élèverait à 29,4 milliards de dollars, soit trois fois plus qu’initialement envisagé. Cela est d’autant plus impressionnant si l’on prend en compte le fait que les rentrées fiscales liées à l’imposition ont augmenté considérablement par rapport aux années Harper.

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Webmestre, Le Délit

Néanmoins, beaucoup de gens s’accorderont à dire que l’équilibre budgétaire n’est pas une fin en soi. Ici, la question essentielle qui permettra de formuler une critique est davantage à qui et à quoi ont servi ces « excès ».

Les chômeurs, quant à eux, ont vu leurs prestations augmenter, notamment dans les régions particulièrement affectées par la chute du cours du pétrole. L’obligation d’accepter un emploi moins bien payé et loin de chez soi a aussi été abolie par le gouvernement Trudeau. Les personnes âgées peuvent se rassurer, l’âge de la retraite restera à 65 ans, contrairement à ce qui avait été envisagé sous Harper. Pour nous autres étudiants, les prêts gouvernementaux ont largement augmenté, et ne sont remboursables que lorsqu’un emploi payant plus de 25 000 dollars par an a été trouvé. Le gouvernement fédéral a aussi annoncé des investissements massifs dans l’infrastructure (vous avez remarqué qu’il y a quelques travaux ici et là?) à la hauteur de 120 milliards de dollars sur la prochaine décennie.

Fiscalité et croissance

L’impôt sur le revenu figurait aussi parmi les débats de campagne. Sur ce plan là, le gouvernement libéral a tenu promesse : pour les revenus supérieurs à 200 000 dollars, le taux d’imposition est passé de 29% à 33%. Quant aux classes moyennes, dont les voix étaient très recherchées pendant la période électorale, elles ont vu leur taux passer de 22% à 20,5% pour les revenus entre 45 282 dollars et 90 563 dollars. Cette baisse n’a cependant pas été compensée par la hausse sur les revenus élevés, contrairement à ce qui avait été dit : ces changements entraineront une baisse de recettes de quelque 1,2 milliards de dollars pour le gouvernement fédéral sur l’année fiscale 2016–2017.

En termes de croissance du PIB, l’économie canadienne prévoit une augmentation de 1,44% pour 2016, soit légèrement plus qu’en 2015. Bien qu’en dessous de ce qui avait initialement été espéré, il faut souligner que la crise pétrolière a eu un effet imprévisible sur les économies des provinces de l’Ouest, qui sont largement dépendantes des revenus de l’or noir. 

À vous donc de formuler votre propre opinion. Une chose est claire cependant : en matière d’économie, le gouvernement Trudeau représente un tournant net par rapport aux années Harper placées sous le signe de l’austérité. – Jacques Simon


Santé

Sur le plan de la santé, le bilan du gouvernement Trudeau ne semble pas être aussi reluisant que l’on pourrait le croire. Certes, le gouvernement a bel et bien augmenté le budget en matière de santé publique, investissant plus de 25 milliards de dollars, dès 2016, sur une période de cinq ans. Cette politique est conforme aux déclarations de Justin Trudeau lors de sa campagne, ce dernier s’étant dit convaincu « que tout le monde a[vait] le droit d’avoir accès […] à un système de soins de santé public et universel de première qualité et financé par l’État » — tout en critiquant au passage le gouvernement Harper pour son inaction en matière de santé publique.

Cependant, d’autres dossiers semblent à la traine, comme la promesse d’améliorer l’accessibilité et l’offre des services de santé mentale. En effet, à l’heure actuelle, aucun projet de loi ou de plan d’action n’a été annoncé par Santé Canada. Pour pallier à cette lacune, la ministre de la Santé fédérale a annoncé le 24 octobre une révision du Guide alimentaire canadien et d’autres initiatives telle que l’interdiction du marketing dirigé vers les enfants, pour contrer la malbouffe.

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De plus, si la Loi sur l’aide médicale à mourir est bien entrée en vigueur le 17 juin dernier, cela n’a pas été sans controverses. Des sénateurs ont admis avoir voté pour « à contrecœur », certains critères ayant été jugés trop vagues voire inconstitutionnels. De plus, quelques députés libéraux ont voté contre, l’un des plus notoires étant David Lametti, député de LaSalle-Émard-Verdun et ancien professeur de droit à McGill. 

Plus récemment, le gouvernement libéral de Justin Trudeau s’est engagé à négocier une nouvelle entente de long terme avec les provinces relativement au financement des soins de santé.

Pourtant, ces négociations semblent loin de faire l’unanimité, malgré les paroles rassurantes de la ministre de la Santé, Jane Philpott, qui se félicitait d’une rencontre positive avec ses homologues provinciaux. Le ministre de la Santé québécois Gaétan Barrette a au contraire dénoncé une « perspective sombre », le gouvernement fédéral souhaitant diviser le taux annuel d’augmentation des transferts en santé de 6% à 3% à compter d’avril prochain, forçant alors le premier ministre Couillard à demander une rencontre avec M. Trudeau et les autres premiers ministres pour discuter du sujet. – Sébastien Oudin-Filipecki


Affaires Autochtones

Le 7 juillet 2015, Justin Trudeau déclarait : « les libéraux ont un plan pour du vrai changement qui rétablira la relation entre le gouvernement fédéral et les peuples autochtones. » La question des peuples autochtones a en effet été un élément clé de la campagne du Parti libéral. Justin Trudeau avait tout particulièrement insisté sur la nécessité de rompre avec l’approche du gouvernement Harper et d’amorcer une nouvelle ère, fondée sur la reconnaissance et la réconciliation. 

Un an après son élection, le Parti libéral a mis en place un certain nombre de mesures significatives en faveur des peuples autochtones. Dès décembre 2015, Justin Trudeau déclarait l’ouverture d’une enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. Alors qu’elles représentent 4% de la population féminine canadienne, 16% des femmes assassinées entre 1980 et 2012 étaient autochtones. La reconnaissance de la violence exercée envers les autochtones faisait partie intégrante de l’effort de réconciliation prôné par Trudeau lors de sa campagne. 

Sur le plan budgétaire, le budget fédéral de 2016 propose d’investir 8,4 milliards de dollars sur les cinq prochaines années dans des projets destinés à l’amélioration des conditions socio-économiques des autochtones, notamment dans les domaines de l’éducation, de l’infrastructure et de la santé. Le Parti libéral a également décidé d’investir dans l’infrastructure culturelle des collectivités des Premières Nations — les autochtones du Canada à l’exception des Inuits et des Métis — à hauteur de 76,9 millions de dollars pour les deux années à venir. Cependant, contrairement à ce qu’avait envisagé Justin Trudeau, le plafond de 2% sur l’augmentation annuelle du budget des Premières Nations est resté en place jusqu’à aujourd’hui. Cette limitation, qui ne prend pas en compte la croissance démographique des communautés concernées, est largement critiquée par ses représentants. La matérialisation de cette promesse demeure donc une nécessité pressante.

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Webmestre, Le Délit

Enfin, si Justin Trudeau avait souligné sa volonté d’implémenter les 94 recommandations de la Commission de vérité et réconciliation, notamment celle concernant la nécessité d’obtenir le consentement des communautés autochtones avant de procéder à des projets de développement économique, cette mesure semble compromise : le gouvernement soutient en effet des projets socialement préjudiciables, comme la construction d’oléoducs ou de barrages. En juillet dernier, le gouvernement libéral a notamment octroyé deux permis fédéraux au projet du site C en Colombie britannique, un barrage hydroélectrique situé sur la rivière Peace. Or ce projet qui menace d’inondation des territoires dont dépendent plusieurs Premières Nations. Comme le souligne Perry Bellegarde, l’actuel chef national des Premières Nations, cette décision va à l’encontre du respect des droits des autochtones prôné par Trudeau. Ayant fait part en décembre dernier de son optimisme à l’égard de l’approche de Trudeau des questions autochtones, Bellegarde signale que des mesures restent à prendre pour matérialiser ces promesses en politiques concrètes. – Hortense Chauvin


Immigration

Sur la question de l’immigration, Justin Trudeau et son parti se sont montrés beaucoup plus ouverts que l’ancien gouvernement de Stephen Harper. En effet, pour répondre à la crise humanitaire qui affecte le Moyen-Orient, Trudeau avait fait le vœu d’accueillir 25 000 réfugiés de cette région avant la fin de l’année 2015. Le  premier ministre libéral ne s’est pas fait attendre sur cette question. Tout juste sa nomination confirmée, les Canadiens ont pu le voir accueillir les réfugiés dans les aéroports de Montréal et de Toronto. L’échéance de son premier objectif a dû être repoussée et c’est fin février que sa promesse fut concrétisée, le 25 000e réfugié ayant mis le pied au Canada. En mars dernier, le gouvernement libéral a doublé son objectif : il a exprimé son souhait d’accueillir au moins 50 000 réfugiés de par le monde avant la fin de l’année. Les dernières statistiques du site du gouvernement du Canada indiquent qu’à ce jour, un peu plus de 32 000 réfugiés sont arrivés au pays.

Outre les réfugiés, le gouvernement libéral a également fait de la réunification des familles l’une de ses priorités, en promettant d’accélérer le délai de traitement des dossiers. Pour ce faire, Justin Trudeau avait prévu à cet effet de doubler le budget consacré aux traitements des demandes. Cependant, il est encore trop tôt pour savoir si l’objectif concernant ce processus a été ou est en voie d’être atteint.  La publication des statistiques  est prévue pour février 2017.

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Webmestre, Le Délit

Bien qu’il ne soit pas encore possible de faire un compte-rendu rigoureux, on peut déjà constater que l’ouverture qui rend le Parti libéral si fier n’a pas tardé à faire ses preuves. Depuis leur arrivée au pouvoir, le pays a accueilli un nombre record de nouveaux arrivants. En effet, selon Statistiques Canada, durant l’année 2015–2016 plus de 320 000 immigrants sont arrivés au pays. Ce chiffre est nettement supérieur à la moyenne annuelle de 250 000 observée pendant la dernière décennie. – Lisa Phuong Nguyen


Environnement

Quid de la politique de lutte contre les changements climatiques ? Elle était un point saillant de la campagne libérale en 2015, après dix ans d’inaction de la part du gouvernement Harper. Immédiatement après son élection, Trudeau s’est rendu à la COP 21, où il a délivré un message environnementaliste fort, avant de signer l’accord de Paris, ratifié enfin au début de l’automne 2016. La même annonce de changement a été faite lors d’une réunion de tous les premiers ministres à Vancouver, à l’aube de l’année 2016.

Plusieurs promesses de campagne et du début de mandat de M. Trudeau ont été tenues, notamment l’établissement d’un accord d’une « ambitieuse entente nord-américaine sur l’énergie propre et l’environnement », pour citer la plateforme du premier ministre, lors du sommet des « trois amigos » l’été dernier. Reste ensuite à chacun de comprendre le mot « ambitieux » comme il veut : les dirigeants se sont accordés sur une diminution de 45% des émissions de méthane d’ici 2025 comparativement au niveau de 2012, ainsi que sur la fin des subventions aux combustibles fossiles d’ici 2025.

Autre promesse tenue : l’établissement d’un prix national sur le carbone. Selon cette nouvelle politique, chaque province devra mettre en place une Bourse du carbone ; le cas échéant, Ottawa leur imposera à compter de 2018 un prix de 10 dollars la tonne, qui montera jusqu’à 50 dollars en 2022. C’est une décision polémique : d’un côté, les canadiens soutenant la taxe carbone déplorent qu’elle ne soit pas assez ambitieuse (la science préconise un prix de 200 dollars la tonne pour lutter efficacement contre les changements climatiques). De l’autre côté, nombre de canadiens s’opposent encore à cette mesure qui met des bâtons dans les roues des pétroliers et fait monter les prix. 

Côté pétrole et autres énergies fossiles, le bilan n’a pas grandement évolué depuis l’an dernier. Le gouvernement continue de soutenir les projets d’oléoducs, et de faire rimer économie verte avec combustibles fossiles.

On attend encore que le gouvernement délivre son Plan d’action pour le climat qui définira plus précisément les objectifs et mécanismes de lutte contre les changements climatiques, et respecter les engagements pris suite à l’accord de Paris.  – Esther Perrin-Tabarly


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