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Alaclair fontaine, m’en allant promener

Le retour d’un groupe qui en dit long sur l’avenir du rap québécois.

Jerry Pigeon

Une légère inquiétude se promène au sein du public alors que quatre musiciens entament ce qui ressemble drôlement à une suite pour violoncelle en sol majeur de Bach. Il y avait pourtant bien écrit « Alaclair Ensemble, 16 septembre » sur la devanture lumineuse du Club Soda. On s’attendait à tout de la part de ce groupe de rap originaire de Québec à l’imagination sans limite, sauf à une introduction aussi solennelle. Et c’est bien là le tour de force des six « Humble French Canadiens », comme ils aiment à s’appeler, issus de la contrée imaginaire du « Bas-Canada », dont le drapeau se distingue par une feuille d’érable orange qui a perdu le sens de l’orientation. Quand le show commence vraiment, le silence respectueux se voit remplacé par un entrain plus emblématique de la sortie de ce quatrième album : Les frères cueilleurs. Le dynamisme du  live permet de mesurer la variété de leur répertoire musical. Les beats qui résonnent échappent souvent à la mollesse de la dichotomie couplet/refrain au moyen de tournants inattendus, comme au cours de la pièce « Bazooka Jokes » ou « Fouette » dont les changements de rythme rappellent que l’on ne plaisante pas avec le rap au Québec.

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Jerry Pigeon

       Comment ça, on ne plaisante pas ? Si vous vous concentrez sur les paroles et ce faux air sérieux – souvent saccadé par les pitreries du MC (Maître de Cérémonie, ndlr) Robert Nelson— vous comprendrez que tout est mis en place pour prendre la langue française par les pieds et la secouer dans tous les sens. Non seulement ils ont inventé un jargon qui — comme tout vocabulaire poétique — requiert un temps d’adaptation, mais en plus, cette expérience se déroule dans un climat d’autodérision des plus sincères. Alors que le rap américain ou français reste ancré dans une tradition de durs à cuire, Alaclair Ensemble, à la fois roi et valet du hip-hop franco-canadien, n’a peur ni du ridicule, ni de la vacuité qui parfois souligne l’insolence de son langage.

À l’issue de ce spectacle, ce que la présence physique et artistique d’Alaclair Ensemble illustre, c’est que sous nos yeux se déroule un processus nouveau, que l’on pourrait qualifier de génie. Car le génie se cache rarement là où on l’attend et passe plutôt par l’énergie et le message transmis. Alors, s’il nous est donné d’accéder à un univers si unique, c’est soit parce que l’on oublie souvent d’ouvrir grand ses oreilles, soit qu’un gang de Bas Canadiens a travaillé dur pour l’élaboration d’un son qui fera longtemps vibrer la fleur de lys. 


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