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Gueule de bois à durée indéterminée

À la recherche d’un discours de gauche.

Vittorio Pessin | Le Délit
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Vittorio Pessin | Le Délit

Olympe de Gouges écrivait sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne il y a trois siècles. Pourtant, on est toujours pas foutu d’atteindre l’égalité des genres, le racisme est comme une veille photo de famille qu’on dépoussière tous les ans, et l’Histoire un livre qu’on a acheté mais qu’on s’est secrètement promis de ne jamais lire.

Gueule de bois

À quoi bon se battre quand on voit que les discours dominants ne remettent pas en question des préjugés datant de l’Antiquité ? Quand les deux campagnes Brexit et Bremain n’ont jamais remis en question l’idée que plus d’immigration équivaut à plus de problèmes, quand  jamais la Turquie n’a été décrite comme autre chose qu’une bande de barbares prêt à envahir les pauvres Britanniques ? Quand on voit que la première revendication de Cameron après le Brexit est d’exiger une baisse de l’immigration à Bruxelles ? À quoi bon quand on sait que la Grande-Bretagne a toujours été une terre hostile à l’immigration, même à l’intérieur de l’Europe ? Qui s’informe ? Qui doute ? Qui ose penser ?

Quelle gauche mondiale ?

À quoi bon quand la gauche française se métamorphose en gelée au discours vide, à quoi bon quand elle ne parle plus d’égalité, de solidarité, d’anti-racisme, d’anti-sexisme, d’anti-austérité, ou de préserver l’environnement ? À quoi bon quand les seuls mouvements de contestation intéressants, qui ne reposent pas sur une xénophobie exacerbée, se trouvent dans des pays auxquels on ne daigne plus porter attention et dont on jugule l’économie, avec une monnaie dont l’utilité n’est plus remise en question que par les extrêmes comme en Espagne ou en Grèce ? À quoi bon quand les migrants crèvent aux frontières et qu’on ne trouve pas mieux que de les « renvoyer » à l’indifférence générale, comme s’ils allaient magiquement voler vers d’autres contrées et non pas se faire passer à tabac puis pousser dans des embarcations, direction Turquie ? Dans ce pays « sûr » les attend une nouvelle guerre avec les populations kurdes, les mêmes bouchers islamiques, et un président aux airs se confirmant chaque jour autoritaires. À quoi bon quand l’Australie transforme ses îles offshores en camps limbesques pour demandeurs d’exil, les poussant à se suicider de façon toujours plus ignoble, à l’indifférence internationale totale ? Où est passée toute compassion ? Où est passée toute réflexion ?

À quoi bon quand on sait que le génocide des populations américaines autochtones n’a jamais été source de grande culpabilité ? À quoi bon quand on sait que l’Holocauste a plus été arrêté par intérêt économique américain en Europe que par réel souci éthique ? Quelle éthique créons-nous ? Quelle éthique nous intéresse ?

Et pourtant…

Et pourtant si la force éthique du devoir d’assistance à personnes cherchant l’asile depuis des pays en ruines ne convainc pas, l’Europe pourrait se trouver des intérêts économiques et idéologiques qui lui parlent. Le projet européen perd du souffle parce qu’il a perdu son temps à se vendre en tant que continent blanc, chrétien, aux supposés antipodes de la Turquie pour mieux l’empêcher d’y entrer, pour mieux s’empêcher de se demander quels ont toujours été nos échanges avec l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, pour mieux oublier que l’Europe a un temps été le bassin méditerranéen sous les Romains, que les Arabes ont envahi une partie pour ensuite être envahis par l’Europe. Ouvrir les frontières de l’Europe est probablement le seul espoir d’en faire un continent enfin adapté à la mondialisation, et de rajeunir une population vieillissante. Au lieu de quoi, on se terre dans nos idées de la « nation » et de nos concepts de souveraineté aux relents nauséabonds.

Pourquoi écrire encore ?

En attendant, on déroule partout le tapis rouge pour les xénophobes, les oligarques, les radicalismes les plus glaçants. Pourquoi se fatiguer ? Des millions de penseurs ont écrit avant, des millions écriront dans le futur, des conneries, des choses mille fois mieux écrites, des argumentaires plus brodés, des recherches plus approfondies…

Quel est l’intérêt ? Écrire, toujours écrire, mais pour qui ? Pour quoi ? Je sais que mes amis Facebook lisent les mêmes articles, partagent les mêmes opinions, sont des mêmes milieux sociaux que moi, qui est-ce que je touche ? Qui est-ce que je change ? La vérité est vieille des siècles qui l’ont rabrouée, les gens n’ont juste pas voulu lire, pas voulu s’informer, pas voulu faire attention.

En même temps, pourquoi les blâmerais-je ? C’est tellement plus simple, tellement plus agréable, après tout on crèvera probablement tranquilles dans notre lit coulés sous nos mythes et on n’en sera pas moins malheureux. Lire, s’informer, douter, à quoi bon quand on atteint un niveau de vie suffisant pour ne plus à avoir à se préoccuper de grand-chose en dehors du prix de la bouffe locale et de l’Euro 2016 ? Au final, toute cette misère, elle nous donnera une petite frousse, comme un feuilleton des Kardashian avec un peu plus de piquant, une sorte de Jeux de la Faim [Hunger Games] version mondiale. Quelle éclate !


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